Le saucisson à pattes II | Page 7

Eugène Chavette
boudoir, sur un long sopha, servant de lit de repos.
En plus de la porte ouvrant sur un large vestibule, le boudoir était desservi par une autre porte que le comte de Méralec se hata d'aller ouvrir. Elle donnait sur une chambre, entourée d'armoires, qui servait de lingerie. Une chaise et une petite table à ouvrage, placées près d'une fenêtre, attestaient que c'était là que, tout en se livrant à des travaux d'aiguille, la dame de compagnie de la comtesse devait se tenir aux ordres de sa ma?tresse.
Son inspection faite, le comte revint à Lambert et Fichet en leur disant:
--J'ai à causer avec la chère comtesse; vous allez donc, mes braves, vous installer dans le vestibule, avec la consigne de ne laisser entrer personne, sauf l'ami Fil-à-Beurre. Si quelqu'un, le général Labor par exemple, se présentait, vous répondriez que la comtesse, remise de son émotion, a demandé qu'on la laissat un peu reposer... Vous me comprenez?
--Que je n'ai pas la compréhension obstruée, répliqua Fichet, qui s'en alla suivi de Lambert.
Le comte, alors, s'adressant au troisième de ses compagnons:
--Vous, mon cher lieutenant, dit-il, soyez assez bon pour vous établir dans la lingerie. Si la faction doit être longue, j'espère qu'elle ne vous sera pas désagréable, car certaine petite table que je viens de voir dans cette pièce, me prouve que vous ne tarderez pas à y recevoir une gentille visite.
Ce disant, le comte, dont les yeux étaient fixés sur sa femme, guettant si elle reprenait ses sens, avait pris le bras du lieutenant pour le pousser doucement vers la lingerie. En sentant une résistance à sa pression, il leva la vue sur son compagnon.
--Qu'avez-vous donc, Vasseur? Vous êtes pale comme un mort! dit-il vivement.
En effet, Vasseur, le regard braqué sur la comtesse évanouie, les traits contractés, les lèvres frémissantes, était en proie à une violente émotion.
--Meuzelin, balbutia-t-il avec effort, je connais cette femme. Sa vue évoque en moi de bien terribles souvenirs.
--Chut! chut! souffla Meuzelin; alors, c'est une raison pour qu'elle ne vous voie pas devant elle quand elle retrouvera ses sens. Tout vient à point, lieutenant. Plus tard, vous me conterez votre histoire.
Tout en conduisant Vasseur vers la porte de la lingerie, il continua:
--Il est important que je me trouve seul avec madame de Méralec. Vous n'appara?trez qu'à mon appel.
Quand il eut refermé la porte sur le lieutenant, Meuzelin vint s'asseoir auprès du lit de repos et, bien tranquillement, il attendit que la comtesse e?t retrouvé ses esprits.
L'attente, du reste, ne fut pas longue. Bient?t un faible mouvement annon?a le retour de la comtesse à la vie. Deux minutes après, elle se releva péniblement sur son séant. En même temps qu'elle cherchait à rassembler ses idées indécises, elle promena autour d'elle un regard encore vague.
Alors ses yeux s'emplirent brusquement d'épouvante lorsqu'ils s'arrêtèrent sur le gros homme assis près d'elle, dont la vue lui rappela ce qui s'était passé.
--Eh bien, ma chère Clotilde, vous vous trouvez donc mieux? dit la voix railleuse de Meuzelin.
Les dents claquantes, frissonnante de tout son corps, elle resta muette, anéantie par la terreur.
--Tudieu! reprit Meuzelin toujours gouailleur, savez-vous, douce amie, que vous faites très piteux accueil à votre mari bien-aimé?
Cette voix mordante et ironique galvanisa la femme terrifiée, qui bégaya péniblement:
--Vous n'êtes pas mon mari!
--Alors, ma toute belle, pourquoi m'avez-vous donc, devant cette brute de Labor, reconnu pour le comte de Méralec?
--Non, vous n'êtes pas le comte de Méralec! pronon?a la comtesse avec une sorte de rage.
--Parce que? fit Meuzelin.
--Vous le savez bien.
--Dites toujours, ma bonne Clotilde.
Elle hésita et, enfin, exaspérée par un ricanement sardonique du gros homme, elle répondit:
--Vous n'êtes pas M. de Méralec, puisque vous me reconnaissez pour votre femme.
--Oh! oh! lacha Meuzelin; savez-vous, ma charmante, que vous avez l'air d'avouer tout bonnement que vous n'êtes pas plus comtesse que je ne suis comte?
Après un petit silence pendant lequel il attendit inutilement que Clotilde répond?t, le policier reprit:
--Alors que suis-je donc? Pouvez-vous me l'apprendre?
Elle remua négativement la tête.
--Voulez-vous que je vous aide à trouver? proposa Meuzelin. J'ai, pour donner des idées aux gens, un procédé infaillible et bien simple. Je leur conte une histoire.
Semblable à la bête faute qui, prise dans un piège, cesse de rugir pour ne pas attirer l'ennemi, madame de Méralec garda le silence, semblant guetter un mot qui lui donnat barre sur le personnage qui la persiflait.
--Qui ne dit mot consent. Je vois que vous avez envie d'entendre mon histoire. Alors, je m'exécute, dit le policier.
Et, aussit?t il commen?a:
--Il y avait un jour un scélérat cruel et impitoyable qui se faisait surnommer Coupe-et-Tranche...
Il s'arrêta et, se ravisant:
--Non, non, dit-il, je débute mal dans mon récit. Je mets, comme on dit, la charrue devant les boeufs.
Il parut se recueillir pour mieux préparer le commencement de sa narration, puis il reprit:
--Il y avait une fois un général idiot, sorte de Lovelace de bas
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