Le saucisson à pattes II | Page 4

Eugène Chavette
dit, Barnabé se tourna vers madame de Méralec, et ajouta:
--Et à vous aussi, madame la comtesse.
--à moi! dit la veuve.
L'accent de la voix de la jolie femme trahissait si bien la crainte, que Fil-à-Beurre se hata de s'écrier:
--Oh! rassurez-vous, madame, il ne s'agit, pour vous, que d'une émotion douce, très douce.
Tout en parlant, Barnabé faisait une gentille petite risette à la veuve, pour calmer son inquiétude.
Mais, pale et avec un frisson à fleur de peau, comme si elle pressentait un danger, madame de Méralec pensait à cette phrase de l'ami du soupirant de Gervaise et se répétait:
--En ma?tres! en ma?tres!
Quant au général, il n'y voyait pas plus loin que le bout de son nez, et à ce nez monta la moutarde quand il s'écria, pour faire un peu sa cour à la veuve:
--Alors, sextuple idiot! puisque ce voyageur est un ami de madame la comtesse, pourquoi as-tu commis la maladresse de l'arrêter!!! Et quand je pense que, pour une pareille anerie, il t'a fallu deux escadrons de hussards... Deux escadrons pour un homme!
--D'abord, général, ils sont quatre, allégua Barnabé pour sa défense. Il est vrai que les trois autres ont tout l'air d'être au service du gros citoyen.
--Deux escadrons pour un homme! Mille tonnerres! C'est pour arriver à ce résultat que j'ai retiré mes hussards de la route de Laval où, peut-être, ils auraient eu la chance de reconquérir les quatre cent mille francs de l'état! gronda Labor qui se montait.
Le faux Meuzelin se révolta contre ce débordement de colère.
--Dame! écoutez donc, général. La prudence m'a guidé, articula-t-il d'un ton sec. Admettons que ce que le gros m'a conté soit faux, que cet homme soit quelque chef dangereux, Coupe-et-Tranche par exemple, qui cherche à se glisser dans le chateau pour y introduire plus tard ses complices, est-ce que je n'aurais pas été cent fois coupable en le laissant échapper? Qui m'assure qu'en se voyant pincé tant?t, il ne m'a pas inventé un conte pour n'être pas retenu? Moi, je l'ai pris au mot. ?Tu dis vouloir aller au chateau de la Brivière, mon gaillard, ai-je pensé; eh bien! je vais t'y conduire, moi, et je l'ai amené ici.?
Puis avec un accent flatteur:
--Et, continua l'échalas, je me suis dit: Supposons que j'aie mis la main sur Coupe-et-Tranche voulant ouvrir le chateau à ses bandits, le général Labor, qui est si fin, si perspicace, si subtil, aura bien vite fait de lever le masque du coquin, et non seulement il me félicitera sur ma capture, mais encore il me remerciera de ma sage précaution d'avoir amené ses soldats pour défendre le chateau en cas d'attaque de la bande voulant délivrer son chef.
--C'est avec cette arrière-pensée que tu t'es fait suivre des deux escadrons? demanda Labor calmé par les louanges.
--Pas dans un autre but.
--Et tu ne veux pas me répéter ce que t'a dit ce gros homme?
--Non, fit résolument Barnabé. Je vous le répète, je ne veux pas, si l'homme a dit vrai, vous retirer le plaisir de la surprise ou le mérite de l'avoir démasqué s'il m'a menti.
--Alors, Meuzelin, fais entrer ces quatre hommes, commanda Labor, tout pressé de prouver cette fameuse perspicacité que lui prêtait l'échalas.
--Pourquoi les quatre? objecta Barnabé. Le gros seul est à interroger. Les trois autres, j'en suis certain, sont sous ses ordres... ou des serviteurs ou des bandits.
--Va donc chercher le gros, dit le général cédant au conseil.
--à vos ordres, fit l'échalas qui, gagnant la sortie, disparut après avoir soigneusement refermé la porte derrière lui.
Mais si court qu'e?t été le temps mis par Barnabé à ouvrir et clore la porte, cette phrase put se faire entendre:
--Que nous allons toujours croquer le marmot en faisant le pied de grue avec le bec dans l'eau comme l'oiseau sur la branche?
De plus en plus secouée par le frisson, la comtesse était pale comme une morte et son regard, sombre et anxieux, s'attachait sur cette porte par laquelle un pressentiment lui disait qu'un danger redoutable allait entrer.
Enfin la porte s'ouvrit, et, sur son seuil, apparut un homme d'un embonpoint formidable. Après lui, entra Barnabé qui alla se placer derrière le général.
à la vue de l'arrivant, l'effroi de la veuve se détendit brusquement et un soupir de soulagement dégonfla sa poitrine oppressée.
Elle ne connaissait pas cet homme.
Mais son apaisement fut de courte durée. Sa terreur revint terrible, lui figeant le sang dans les veines, lui faisant froid dans les moelles.
Pourtant rien ne justifiait cette épouvante.
L'inconnu arrivait à elle, lentement, doucement ému, l'oeil plein de tendresse, un sourire de bonheur aux lèvres.
Quand il fut près d'elle, il lui prit brusquement la tête entre ses mains et la couvrit de baisers frénétiques en disant avec l'accent d'une joie immense:
--Clotilde! ma Clotilde bien-aimée!
Il fallait voir la mine archi-penaude du général à ce spectacle. Quoi? il convoitait cette jolie femme et un autre la lui embrassait
Continue reading on your phone by scaning this QR Code

 / 109
Tip: The current page has been bookmarked automatically. If you wish to continue reading later, just open the Dertz Homepage, and click on the 'continue reading' link at the bottom of the page.