Le saucisson à pattes II | Page 3

Eugène Chavette
un peu plus tard, il m'a chargé de te rejoindre pour aller surveiller l'expédition, annon?a Barnabé avec aplomb.
--Quand nous serons sur l'autre rive, je te prendrai en croupe, proposa l'ordonnance.
--Sans refus, camarade.
Cinq heures plus tard, Fil-à-Beurre, à la tête de deux escadrons de hussards, trompettes sonnant, reparaissait au domaine de la Brivière, et quand Labor, en fureur, demandait qui avait ordonné aux soldats de venir le retrouver au chateau, répondait:
--C'est moi.
Et tout aussit?t, il ajoutait:
--C'est que l'expédition, général, n'a pas donné le résultat que vous en attendiez.
--La bande avait donc quitté la ferme de la Cornouaille? vous avez fait chou blanc? supposa Labor.
--Pas tout à fait; car nous y avons surpris quatre hommes qui, du reste, n'ont fait aucune résistance. Je vous amène ces prisonniers.
--La consigne est de ne pas faire de prisonniers; il fallait fusiller ces sacripants, dit sévèrement le général.
--Oui, mais ils ne sont pas des sacripants. Leur chef m'a fait un récit tellement embrouillé que j'ai cru bon de le conduire ici pour que vous l'interrogiez.
Sur ce, Barnabé ouvrit la fenêtre sur la cour et cria:
--Faites monter les prisonniers.
Sans doute que ceux des hussards qui amenaient les prisonniers s'y prenaient, à leur égard, un peu brutalement, car on entendit une voix mécontente qui disait:
--Que c'est une futilité outrecuidante de me manipulationner comme un paquet de linge sale!
Les prisonniers venaient de s'arrêter dans la pièce voisine où leur escorte attendit l'ordre de les introduire. Depuis l'arrivée des escadrons au chateau, Labor n'avait encore fait que jurer et rager; son sang-froid, qui lui revint, lui fit comprendre le besoin de s'enquérir un peu, au préalable, sur le compte de ceux qu'il allait interroger. Donc, il s'adressa à celui qu'il persistait à prendre pour Meuzelin.
--Avant que je les fasse entrer...
Au lieu de continuer, il se tourna vers madame de Méralec, que la curiosité avait fait rester en place.
--Mille pardons! comtesse, dit-il. Vous devez être déjà fort mécontente de l'envahissement de votre chateau par mes soldats. Je n'y joindrai pas l'ennui de vous faire assister à l'interrogatoire de ces hommes. Je vais donc aller les questionner dans la pièce où ils viennent d'être conduits.
Mais cela ne faisait pas l'affaire de la veuve, qui se hata de dire, avec l'accent d'un reproche amical:
--Ah! général, vous oubliez nos conventions! N'a-t-il pas été convenu une fois pour toutes que, chez moi, vous vous regarderiez comme chez vous?
à cette réponse, Labor crut bon de lacher un nouveau ?hélas!? qui faisait allusion à la confidence que lui avait faite la veuve sur son impossibilité de convoler en secondes noces.
Il revint à Fil-à-Beurre et reprit sa phrase commencée:
--Avant que je les fasse entrer, apprends-moi d'abord comment tu as fait ces prisonniers?
--Ai-je dit prisonniers? demanda Barnabé d'un air étonné. En ce cas, la langue m'a fourché. Je ne puis vraiment pas, en bonne conscience, appeler prisonniers des gens qui, d'eux-mêmes, m'ont demandé à être conduits au chateau de Brivière.
Puis, laissant ce sujet pour en aborder un autre, l'échalas s'écria vivement:
--Ah! d'abord, pour en finir avec les Chauffeurs que nous allions surprendre, je dois vous dire qu'à notre arrivée à la Cornouailles, nous avons trouvé la ferme complètement évacuée par les bandits.
--Ils ne perdront pas pour attendre! grogna le général.
--Vos soldats et moi, reprit Barnabé, nous allions quitter la Cornouailles quand un paysan m'apprit que quatre hommes se trouvaient réunis dans le cabaret du village. Le soup?on me vint que ce pouvait être des retardaires de la bande. Je fis cerner le cabaret.
--Et tu les a surpris sur la défensive? demanda Labor, avan?ant ce motif à faire fusiller les prisonniers.
--Euh! euh! fit Barnabé. Est-ce bien trouver les gens sur la défensive que de les surprendre en train de manger du pain et du fromage et de vider une potée de vin en braves voyageurs qui réparent leurs forces et qui ont leurs papiers parfaitement en règle.
Le général tressauta de colère à cette réponse.
--Ah! ?a! beugla-t-il, puisqu'il en était ainsi, pourquoi, paquet de cornichons! les as-tu amenés ici?
--Attendez donc, général, attendez donc un petit brin.
--Abrège, bavard!
--Comme je lui rendais ses papiers, celui qui me paraissait être le chef des autres, un gros et même un très gros, me demanda si la route était encore longue jusqu'au chateau de la Brivière qui, disait-il, était le but de son voyage.
Mollement renversée sur le dos de son siège, madame de Méralec avait écouté en souriant. Aux derniers mots de Barnabé, elle se redressa lentement, muette, mais attachant sur l'échalas un regard inquiet.
--Pourquoi ce gros homme vient-il au chateau? demanda le général.
--Telle a été ma question. C'est alors qu'il m'a fait je ne sais quelle histoire.
--Comment, ane baté, tu ne sais quelle histoire! Voyons! conte-la-moi en deux mots, ordonna Labor d'un ton sec.
--Ma foi, non! fit carrément Barnabé. Qu'il vous la conte lui-même. J'aime mieux, général, vous laisser tout le plaisir de la surprise.
Cela
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