en plus secouée par le frisson, la comtesse était pâle comme une morte et son
regard, sombre et anxieux, s'attachait sur cette porte par laquelle un pressentiment lui
disait qu'un danger redoutable allait entrer.
Enfin la porte s'ouvrit, et, sur son seuil, apparut un homme d'un embonpoint formidable.
Après lui, entra Barnabé qui alla se placer derrière le général.
À la vue de l'arrivant, l'effroi de la veuve se détendit brusquement et un soupir de
soulagement dégonfla sa poitrine oppressée.
Elle ne connaissait pas cet homme.
Mais son apaisement fut de courte durée. Sa terreur revint terrible, lui figeant le sang
dans les veines, lui faisant froid dans les moelles.
Pourtant rien ne justifiait cette épouvante.
L'inconnu arrivait à elle, lentement, doucement ému, l'oeil plein de tendresse, un sourire
de bonheur aux lèvres.
Quand il fut près d'elle, il lui prit brusquement la tête entre ses mains et la couvrit de
baisers frénétiques en disant avec l'accent d'une joie immense:
--Clotilde! ma Clotilde bien-aimée!
Il fallait voir la mine archi-penaude du général à ce spectacle. Quoi? il convoitait cette
jolie femme et un autre la lui embrassait devant le nez! Il n'y mettait pas de ménagements,
cet embrasseur. Car, après la première série de baisers, il en entama une seconde aussi
ardente, aussi passionnée, qu'il entrecoupait de ces mots prononcés d'une voix chaude
d'amour:
--Enfin je te revois, mon adorée Clotilde.
Décidément, Labor leur tenait la chandelle.
--Hum! hum! fit-il vigoureusement pour rappeler sa présence à l'embrasseur.
Au bruit, le gros homme fit volte-face et, la main de la veuve dans la sienne, il prononça
en souriant de bonheur:
--Excusez-moi, général, mon nom vous apprendra tout: je suis le comte de Mélarec.
Se tournant vers la comtesse, il demanda:
--Clotilde, veux-tu affirmer au général que je suis ton mari?
Pantelante de tout son être, madame de Méralec le fixa de ses yeux fous de terreur et au
prix d'un immense effort:
--Oui, dit-elle.
Et elle tomba évanouie.
--On a raison de prétendre que la joie fait peur; souffla Fil-à-Beurre au général.
À la chute de la comtesse évanouie, Labor s'était élancé pour la secourir; mais déjà elle
avait été relevée par son mari qui la replaçait sur son siège en disant:
--À présent que tout malentendu a cessé entre nous, permettez-vous, général, que je
dispose de mes gens, trois dévoués serviteurs que je ramène de l'émigration?
La tête un peu perdue par ce coup de théâtre, Labor, sans parler, fit un signe à
Fil-à-Beurre qui, aussitôt, courant à la porte, l'ouvrit et cria:
--Laissez libres les gens du comte de Méralec.
Et, en lui-même, l'échalas pensa:
--Enfoncé le général! Nous voici dans la place! Maintenant, nous allons rire.
Derrière lui, trois hommes étaient entrés.
--Fichet et Lambert, ordonna le comte, soulevez doucement ce fauteuil et transportez la
malade dans ses appartements.
Mais, son ordre donné, il adressa au général et à Fil-à-Beurre un regard qui demandait
qu'on lui apprît, étranger qu'il était aux êtres du château, où se trouvaient situés les
appartements de sa femme.
Du doigt, le général lui indiqua une porte de dégagement, par laquelle disparurent les
quatre hommes emportant la comtesse.
Labor et Barnabé restèrent face à face, ce dernier souriant, l'autre faisant un nez long de
deux aunes en pensant à la dégringolade de ses projets amoureux, causée par le retour de
ce mari tant aimé de sa femme qu'elle s'évanouissait de joie à sa vue. En cette occurrence,
le général n'était pas tenu à faire montre d'une énorme sympathie pour l'époux reparu. Il
le prouva en grommelant avec une humeur de dogue:
--Il n'est donc pas mort, ce marsouin-là? Trois coups de feu dans le corps et il en
revient!!!
--Il faut même croire que les blessures lui profitent, car il en est revenu avec une bien
belle santé, appuya sérieusement Barnabé.
--Il faut décamper d'ici! soupira Labor.
--Pourquoi, général? fit l'échalas affectant la surprise.
--Puisque le mari est de retour, lâcha le général, sans penser qu'il avouait tout naïvement
ses intentions de Lovelace.
Fil-à-Beurre croisa les mains, eut l'air de tomber des nues et répliqua avec une sorte
d'indignation:
--Oh! général! Vous, un si bel homme, céder le pas à une espèce d'éléphant!... Ce serait à
désespérer du bon goût des femmes!
--Crois-tu, Meuzelin? fit Labor dont la fatuité se réveilla.
--Ne renoncez pas.
--Tu as cependant vu qu'à l'aspect de son hippopotame, elle s'est évanouie de joie.
--Euh! euh! qui vous dit que ce n'est pas plutôt de regret? On rêvait bel homme et v'lan! il
vous tombe un monstre. Le coup est assez dur pour s'évanouir.
--Tu crois, Meuzelin? répéta le général, glissant sur la pente de sa stupide suffisance.
Puis il hocha la tête, en ajoutant:
--Oui, mais je n'ai pas de prétexte pour demeurer au château.
Et, prenant son parti:
--Il ne
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