fois que je risque de me faire scier entre deux planches,
comme Meuzelin m'en a fait entrevoir la douce espérance.
Quand Barnabé arriva au bac qui servait à traverser la Loire, il y rejoignit l'ordonnance
du général, porteur de l'ordre, qui, pour franchir le fleuve, attendait qu'il plût au passeur,
attardé dans un cabaret sur l'autre rive, de ramener son bateau.
--Nous allons faire route ensemble, camarade, lui annonça Barnabé.
Le hussard le reconnut.
--C'est toi, citoyen, dit-il, qui, à mon départ, détalais si fort pendant que le général
gueulait pour te rappeler. Saperlotte! il avait l'air de fièrement tenir à toi, le grand chef!
--Tant et si bien, camarade, que quand je suis revenu un peu plus tard, il m'a chargé de te
rejoindre pour aller surveiller l'expédition, annonça Barnabé avec aplomb.
--Quand nous serons sur l'autre rive, je te prendrai en croupe, proposa l'ordonnance.
--Sans refus, camarade.
Cinq heures plus tard, Fil-à-Beurre, à la tête de deux escadrons de hussards, trompettes
sonnant, reparaissait au domaine de la Brivière, et quand Labor, en fureur, demandait qui
avait ordonné aux soldats de venir le retrouver au château, répondait:
--C'est moi.
Et tout aussitôt, il ajoutait:
--C'est que l'expédition, général, n'a pas donné le résultat que vous en attendiez.
--La bande avait donc quitté la ferme de la Cornouaille? vous avez fait chou blanc?
supposa Labor.
--Pas tout à fait; car nous y avons surpris quatre hommes qui, du reste, n'ont fait aucune
résistance. Je vous amène ces prisonniers.
--La consigne est de ne pas faire de prisonniers; il fallait fusiller ces sacripants, dit
sévèrement le général.
--Oui, mais ils ne sont pas des sacripants. Leur chef m'a fait un récit tellement embrouillé
que j'ai cru bon de le conduire ici pour que vous l'interrogiez.
Sur ce, Barnabé ouvrit la fenêtre sur la cour et cria:
--Faites monter les prisonniers.
Sans doute que ceux des hussards qui amenaient les prisonniers s'y prenaient, à leur égard,
un peu brutalement, car on entendit une voix mécontente qui disait:
--Que c'est une futilité outrecuidante de me manipulationner comme un paquet de linge
sale!
Les prisonniers venaient de s'arrêter dans la pièce voisine où leur escorte attendit l'ordre
de les introduire. Depuis l'arrivée des escadrons au château, Labor n'avait encore fait que
jurer et rager; son sang-froid, qui lui revint, lui fit comprendre le besoin de s'enquérir un
peu, au préalable, sur le compte de ceux qu'il allait interroger. Donc, il s'adressa à celui
qu'il persistait à prendre pour Meuzelin.
--Avant que je les fasse entrer...
Au lieu de continuer, il se tourna vers madame de Méralec, que la curiosité avait fait
rester en place.
--Mille pardons! comtesse, dit-il. Vous devez être déjà fort mécontente de
l'envahissement de votre château par mes soldats. Je n'y joindrai pas l'ennui de vous faire
assister à l'interrogatoire de ces hommes. Je vais donc aller les questionner dans la pièce
où ils viennent d'être conduits.
Mais cela ne faisait pas l'affaire de la veuve, qui se hâta de dire, avec l'accent d'un
reproche amical:
--Ah! général, vous oubliez nos conventions! N'a-t-il pas été convenu une fois pour toutes
que, chez moi, vous vous regarderiez comme chez vous?
À cette réponse, Labor crut bon de lâcher un nouveau «hélas!» qui faisait allusion à la
confidence que lui avait faite la veuve sur son impossibilité de convoler en secondes
noces.
Il revint à Fil-à-Beurre et reprit sa phrase commencée:
--Avant que je les fasse entrer, apprends-moi d'abord comment tu as fait ces prisonniers?
--Ai-je dit prisonniers? demanda Barnabé d'un air étonné. En ce cas, la langue m'a
fourché. Je ne puis vraiment pas, en bonne conscience, appeler prisonniers des gens qui,
d'eux-mêmes, m'ont demandé à être conduits au château de Brivière.
Puis, laissant ce sujet pour en aborder un autre, l'échalas s'écria vivement:
--Ah! d'abord, pour en finir avec les Chauffeurs que nous allions surprendre, je dois vous
dire qu'à notre arrivée à la Cornouailles, nous avons trouvé la ferme complètement
évacuée par les bandits.
--Ils ne perdront pas pour attendre! grogna le général.
--Vos soldats et moi, reprit Barnabé, nous allions quitter la Cornouailles quand un paysan
m'apprit que quatre hommes se trouvaient réunis dans le cabaret du village. Le soupçon
me vint que ce pouvait être des retardaires de la bande. Je fis cerner le cabaret.
--Et tu les a surpris sur la défensive? demanda Labor, avançant ce motif à faire fusiller les
prisonniers.
--Euh! euh! fit Barnabé. Est-ce bien trouver les gens sur la défensive que de les
surprendre en train de manger du pain et du fromage et de vider une potée de vin en
braves voyageurs qui réparent leurs forces et qui ont leurs papiers parfaitement en règle.
Le général tressauta de colère à cette réponse.
--Ah! ça! beugla-t-il, puisqu'il en était ainsi, pourquoi, paquet de cornichons! les
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