les débats du procès de la Bande d'Orgères avaient signalé
comme ayant été longtemps un repaire de bandits. L'établissement payait donc pour sa
mauvaise réputation.
Quand la justice, suivant une coutume de l'époque, avait mis sous le séquestre l'auberge
dont la vente répondrait des frais du procès des Chauffeurs, aucun membre de la famille
Doublet, même au titre de parent le plus éloigné, ne s'était présenté pour protester contre
la confiscation et réclamer ses droits à l'héritage. On se rappelait que, jadis, sans qu'on sût
d'où il venait, Doublet était arrivé à Chartres. Il avait loué la maison en question et y avait
fondé son auberge du Bon-Repos, qui avait progressé jusqu'au jour où il avait été avéré
que la prospérité de l'hôtelier, qui passait pour posséder bon nombre de sacs d'écus,
s'alimentait aux sources coupables.
Quand le pot aux roses avait été découvert, la curiosité publique, qui avait transformé
Doublet en richard, avait éprouvé une étrange déception. L'aubergiste menait, en
apparence, la vie la plus régulière. Il n'était ni joueur ni buveur. On ne lui connaissait
aucune relation qui charmât les ennuis de son célibat, car il avait toujours refusé de se
marier. De plus, au dehors de son auberge, on n'avait pu prouver qu'il se fût livré à une
spéculation aléatoire; bref, dans la vie de Doublet, l'enquête la plus minutieuse n'avait pu
trouver quelque fissure par laquelle se serait écoulé son argent.
Et, pourtant, la justice, quand elle avait visité le Bon-Repos, n'avait relevé nulles traces de
ces écus qu'on disait si nombreux.
On avait bouleversé la maison, sondé les murs, creusé les caves, en quête d'une cachette
où devaient dormir les économies de l'aubergiste. La recherche était demeurée stérile.
Les fureteurs de la police n'avaient pas voulu avoir le dernier mot. En se souvenant que
Doublet, tout au moins une fois par mois, s'absentait pendant trois ou quatre jours, ils en
avaient conclu que le bonhomme devait avoir placé son argent à Paris ou à Orléans.
À cette supposition, un malin avait répliqué:
--Pourquoi si loin? Qui nous dit que le gredin n'avait pas, en quelque coin ignoré du pays,
cette cachette que nous avons vainement cherchée dans l'auberge? Quand il partait dans
sa carriole en annonçant son départ pour Paris, le matois devait aller tout droit là où il
enfouissait son trésor.
Et ledit malin ajouta:
--Tenez, j'ai une idée. Attelons le vieux cheval de Doublet à sa carriole, dans laquelle
deux ou trois de nous monteront. Qu'on sorte de la ville par la porte coutumière à Doublet,
et, alors, qu'on laisse la bride au cou du cheval... je parie que la bête nous conduira tout
droit où tant de fois elle a eu l'habitude d'aller.
La proposition avait été acclamée et tout de suite on avait désigné le trio qui, le
lendemain, tenterait l'expédition.
Seulement, ce lendemain, quand les trois élus étaient entrés dans l'écurie, ils avaient
trouvé le cheval étendu mort sur sa litière.
On l'avait empoisonné pendant la nuit.
Lorsque les chercheurs du trésor de Doublet vinrent annoncer l'empoisonnement du
cheval à Vasseur qui, la veille, avait assisté à la conférence où avait été émise l'idée
d'utiliser l'instinct de l'animal en le laissant aller lui-même à l'endroit du pays qu'avait
choisi l'aubergiste pour y cacher son argent, le lieutenant les tança vertement.
--C'est bien fait, leur dit-il. Un de vous, à coup sûr, aura bavardé de la chose depuis hier.
La bande doit avoir encore en ville des affiliés qui ont échappé à ma chasse. Votre
bavardage aura été entendu et on s'est hâté, cette nuit, de tuer le cheval.
Pourtant, après avoir congédié les autres, Vasseur avait retenu celui qui, la veille, avait
trouvé le stratagème du cheval. Cet homme était un garçon d'une trentaine d'années, à la
figure intelligente, mais long de cou, long de taille, long de jambes et de bras; bref, un de
ces êtres dont on dit «qu'ils n'en finissent pas». De plus, il était aussi maigre qu'un clou.
--Tu m'as l'air d'un finaud, toi! lui dit le lieutenant.
Un pareil éloge de la part de Vasseur, dont toute la contrée proclamait alors le courage et
l'énergie, valait son pesant d'or. Le maigre diable, à ce compliment, se redressa plus raide
qu'une perche.
--Que fais-tu? poursuivit le lieutenant.
--Je cherche à ne pas mourir de faim en acceptant tout ce qui se présente à faire. Tantôt
rétameur, tantôt postillon, aujourd'hui moissonneur, demain roulier... À la fin de l'année,
j'ai à peu près mangé.
Tout cela était débité sur un ton d'insouciante bonne humeur.
--Et tu t'appelles? dit Vasseur.
--Barnabé Gobin, surnommé Fil-à-Beurre... à cause de ma maigreur.
Le lieutenant regarda son homme dans les yeux. Il y lut franchise, loyauté et courage.
Alors, lentement, il demanda:
--Barnabé, je vais, avant peu, entreprendre une tâche pénible et périlleuse, pour laquelle,
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