avait entrepris sa destruction.
Cet homme était un simple brigadier de gendarmerie du nom de Vasseur.
Seul, nous le répétons, pendant de longs mois, il s'était acharné à cette tâche où il avait
tout à la fois contre lui ceux qu'il avait juré de détruire et ceux qu'il voulait protéger, car
la peur empêchait ces derniers de parler. Longtemps, sous divers travestissements, il avait
battu la plaine, étudiant les innombrables vagabonds ou marchands ambulants qui, à des
rendez-vous indiqués par le Beau François, se transformaient, la nuit, en Chauffeurs.
Tous ses renseignements pris et son terrain bien étudié, Vasseur alors aidé de sa brigade,
avait fait sa première arrestation et, pour son début, il avait eu la main heureuse, car il
avait mis la main sur un révélateur dont les aveux lui firent, un à un, cueillir une
vingtaine de coupables qui, pris au trébuchet, parlèrent, eux aussi, à qui mieux mieux.
Alors la terreur prit fin et la réaction s'opéra. Les autorités d'Orléans et de Chartres mirent
à la disposition de Vasseur toutes les brigades de gendarmerie et un renfort de hussards.
Dès ce moment, ce fut une chasse à courre, tant bien menée par l'infatigable brigadier,
traquant les bandits dans leurs repaires. Il en bonda si dru les prisons de Chartres, qu'une
épidémie s'y déclarant, faucha un bon tiers de ces gredins.
Les crimes de la bande étaient tellement nombreux que l'instruction du procès dura
dix-huit mois. Quatre-vingt-six accusés avaient été épargnés par l'épidémie. C'est sur ce
nombre que le jugement en avait désigné vingt-trois pour la guillotine.
En récompense de son énergique conduite, Vasseur avait été promu lieutenant de
gendarmerie.
Nous croyons inutile d'ajouter que c'était lui qui, travesti en paysan aisé et se faisant
appeler, par ses deux hommes, du nom de Rameau, venait de se présenter à la prison au
moment où les condamnés allaient marcher à l'échafaud.
Le guichetier compléta ses renseignements:
--Voulez-vous encore les voir, lieutenant? demanda-t-il. Alors, allez vous poster sous le
porche du grand guichet. Vous pourrez les regarder à l'aise, car on les y fera arrêter une
dernière fois, pendant que le bourreau signera son reçu au greffe.
Sans mot dire, Vasseur s'éloigna pour gagner l'endroit indiqué. Il était à peine en place
que, d'une porte basse, au fond de la cour, déboucha le sinistre convoi. Comme l'avait
annoncé le geôlier, les trois femmes marchaient en tête.
Si bien déguisé que fût le soldat, une des femmes, grande et belle fille, le reconnut au
passage.
--Te voilà donc, cogne (gendarme) de malheur! cria-t-elle.
Puis, en montrant ses deux compagnes, elle ajouta avec un ricanement cynique:
--Tu as pincé les poules, mais tu as laissé s'envoler le coq, imbécile!
À l'apostrophe gouailleuse soufflée par une monstrueuse forfanterie à la Grande Victoire,
celle-là même qui, tout à l'heure, avait tenté de se soustraire à la mort en se prétendant
enceinte, les deux autres femmes, qui marchaient à ses côtés, tout aussi fanfaronnes que
leur complice, lâchèrent un rire moqueur et se mirent à crier:
--Cocorico! cocorico!
--Oui, appuya la Victoire, mauvais chien de cogne (gendarme), tu as laissé s'envoler le
coq.
Par «le coq», les mégères, on l'a deviné, désignaient le BEAU FRANÇOIS, ce chef de la
bande d'Orgères, qu'on aurait vainement cherché dans le groupe des vingt-trois
condamnés qui allaient s'étendre sur la bascule de la guillotine.
Le sarcasme devait avoir réveillé quelque colère sourde dans le coeur de l'ex-brigadier,
devenu lieutenant, car, aux paroles de la Grande Victoire, il avait pâli et une lueur de
colère avait éclairé son regard. Néanmoins, il ne répliqua pas, pris de ce respect que la
pitié inspire envers ceux qui vont mourir.
Mais si Vasseur n'avait pas répondu, la fureur n'en avait pas moins grondé en son coeur,
et cette pensée lui était montée au cerveau:
--Je le repincerai, ce Beau François, et je jure bien que, cette fois-là, le coq ne s'envolera
plus.
Et il avait grandement raison d'être furieux, le brave Vasseur, car il avait déjà empoigné
le fameux chef de la bande d'Orgères... Malheureusement d'autres l'avaient laissé
s'échapper.
Le Beau François avait été englobé dans un coup de filet avec six de ses hommes et
conduit dans une des prisons de Chartres. Grâce à sa ruse de prendre un faux nom, on
était resté dans l'ignorance de l'importance de cette capture.
Pendant les dix-huit mois qu'avait duré l'instruction, alors que l'épidémie, par suite de
l'entassement des prisonniers, avait fauché plus d'un tiers de ces bandits, le chef des
Chauffeurs avait su se faire admettre à l'infirmerie. Une belle nuit, il s'était évadé par un
trou creusé par lui dans la muraille, trou si étroit que, pour pouvoir se glisser par cette
ouverture, il avait été obligé de retirer sa veste qu'il avait dû abandonner.
Depuis cette évasion, si actives qu'avaient été les poursuites,
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