de longues herbes sauvages. Puis je m'étais
accroupi, à la façon de tous les petits enfants, pour m'enfouir davantage
dans tout cela qui me dépassait déjà grandement quand j'étais debout.
Et je restais tranquille, les yeux dilatés, l'esprit en éveil, à la fois effrayé
et charmé. Ce que j'éprouvais, en présence de ces choses nouvelles,
était encore moins de l'étonnement que du ressouvenir; la splendeur des
plantes vertes, qui m'enlaçait de si près, je savais qu'elle était partout,
jusque dans les profondeurs jamais vues de la campagne; je la sentais
autour de moi, triste et immense, déjà vaguement connue; elle me
faisait peur, mais elle m'attirait cependant,--et, pour rester là le plus
longtemps possible sans qu'on vînt me chercher, je me cachais encore
davantage, ayant pris sans doute l'expression de figure d'un petit
Peau-Rouge dans la joie de ses forêts retrouvées.
Mais tout à coup je m'entendis appeler: «Pierre! Pierre! mon petit
Pierrot!» Et sans répondre, je m'aplatis bien vite au ras du sol, sous les
herbages et les fines branches fenouillées des asperges.
Encore: «Pierre! Pierre!» C'était Lucette; je reconnaissais bien sa voix,
et même, à son petit ton moqueur, je comprenais qu'elle me voyait dans
ma cache verte. Mais je ne la voyais point, moi; j'avais beau regarder
de tous les côtés: personne!
Avec des éclats de rire, elle continuait de m'appeler, en se faisant des
voix de plus en plus drôles. Où donc pouvait-elle bien être?
Ah! là-bas, en l'air! perchée sur la fourche d'un arbre tout tordu, qui
avait comme des cheveux gris en lichen.
Je me relevai alors, très attrapé d'avoir été ainsi découvert.
Et en me relevant, j'aperçus au loin, par-dessus le fouillis des plantes
agrestes, un coin des vieux murs couronnés de lierre qui enfermaient le
jardin. (Ils étaient destinés à me devenir très familiers plus tard, ces
murs-là; car, pendant mes jeudis de collège, j'y ai passé bien des heures,
perché, observant la campagne pastorale et tranquille, et rêvant, au bruit
des sauterelles, à des sites encore plus ensoleillés de pays lointains.) Et
ce jour-là, leurs pierres grises, disjointes, mangées de soleil,
mouchetées de lichen, me donnèrent pour la première fois de ma vie
l'impression mal définie de la vétusté des choses; la vague conception
des durées antérieures à moi-même, du temps passé.
Lucette D***, mon aînée de huit ou neuf ans, était déjà presque une
grande personne à mes yeux: je ne pouvais pas la connaître depuis bien
longtemps, mais je la connaissais depuis tout le temps possible. Un peu
plus tard, je l'ai aimée comme une soeur; puis sa mort prématurée a été
un de mes premiers vrais chagrins de petit garçon.
Et c'est le premier souvenir que je retrouve d'elle, son apparition dans
les branches d'un vieux poirier. Encore ne s'est-il fixé ainsi qu'à la
faveur de ces deux sentiments tout nouveaux auxquels il s'est trouvé
mêlé: l'inquiétude charmée devant l'envahissante nature verte et la
mélancolie rêveuse en présence des vieux murs, des choses anciennes,
du vieux temps...
IV
Je voudrais essayer de dire maintenant l'impression que la mer m'a
causée, lors de notre première entrevue,--qui fut un bref et lugubre
tête-à-tête.
Par exception, celle-ci est une impression crépusculaire; on y voyait à
peine, et cependant l'image apparue fut si intense qu'elle se grava d'un
seul coup pour jamais. Et j'éprouve encore un frisson rétrospectif, dès
que je concentre mon esprit sur ce souvenir.
J'étais arrivé le soir, avec mes parents, dans un village de la côte
saintongeaise, dans une maison de pêcheurs louée pour la saison des
bains. Je savais que nous étions venus là pour une chose qui s'appelait
la mer, mais je ne l'avais pas encore vue (une ligne de dunes me la
cachait, à cause de ma très petite taille) et j'étais dans une extrême
impatience de la connaître. Après le dîner donc, à la tombée de la nuit,
je m'échappai seul dehors. L'air vif, âpre, sentait je ne sais quoi
d'inconnu, et un bruit singulier, à la fois faible et immense, se faisait
derrière les petites montagnes de sable auxquelles un sentier conduisait.
Tout m'effrayait, ce bout de sentier inconnu, ce crépuscule tombant
d'un ciel couvert, et aussi la solitude de ce coin de village... Cependant,
armé d'une de ces grandes résolutions subites, comme les bébés les plus
timides en prennent quelquefois, je partis d'un pas ferme...
Puis, tout à coup, je m'arrêtai glacé, frissonnant de peur. Devant moi,
quelque chose apparaissait, quelque chose de sombre et de bruissant qui
avait surgi de tous les côtés en même temps et qui semblait ne pas finir;
une étendue en mouvement qui me donnait le vertige mortel...
Évidemment c'était ça; pas une minute d'hésitation, ni même
d'étonnement que ce fût ainsi, non, rien que de l'épouvante; je
reconnaissais et je tremblais. C'était d'un vert obscur presque noir;
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