Le roman dun enfant | Page 8

Pierre Loti
��tait all�� tr��s loin, montrait au-dessus de ces lignes d��j�� si planes, une autre petite raie bleuatre plus compl��tement droite,--et attirante, attirante �� la longue comme un grand aimant patient, s?r de sa puissance et pouvant attendre.
Ma soeur, et mon fr��re dont je n'ai pas parl�� encore, ��taient de bien des ann��es mes a?n��s, de sorte qu'il semblait, alors surtout, que je fusse d'une g��n��ration suivante.
Donc, ils ��taient pour me gater, en plus de mon p��re et de ma m��re, de mes grand'm��res, de mes tantes et grand'tantes. Et, seul enfant au milieu d'eux tous, je poussais comme un petit arbuste trop soign�� en serre, trop garanti, trop ignorant des halliers et des ronces....

VIII
On a avanc�� que les gens dou��s pour bien peindre (avec des couleurs ou avec des mots) sont probablement des esp��ces de demi-aveugles, qui vivent d'habitude dans une p��nombre, dans un brouillard lunaire, le regard tourn�� en dedans, et qui alors, quand par hasard ils voient, sont impressionn��s dix fois plus vivement que les autres hommes.
Cela me semble un peu paradoxal.
Mais il est certain que la p��nombre dispose �� mieux voir; comme dans les panoramas, par exemple, cette obscurit�� des vestibules qui pr��pare si bien au grand trompe-l'oeil final.
Au cours de ma vie, j'aurais donc ��t�� moins impressionn�� sans doute par la fantasmagorie changeante du monde, si je n'avais commenc�� l'��tape dans un milieu presque incolore, dans le coin le plus tranquille de la plus ordinaire des petites villes: recevant une ��ducation aust��rement religieuse; bornant mes plus grands voyages �� ces bois de la Limoise, qui me semblaient profonds comme les for��ts primitives, ou bien a ces plages de l'??le?, qui me mettaient un peu d'immensit�� dans les yeux lors de mes visites �� mes vieilles tantes de Saint-Pierre-d'Oleron.
C'��tait surtout dans la cour de notre maison que se passait le plus clair de mes ��t��s; il me semblait que ce f?t l�� mon principal domaine, et je l'adorais....
Bien jolie, il est vrai, cette cour; plus ensoleill��e et a��r��e, et fleurie que la plupart des jardins de ville. Sorte de longue avenue de branches vertes et de fleurs, bord��e au midi par de vieux petite murs bas d'o�� retombaient des rosiers, des ch��vrefeuilles, et que d��passaient des t��tes d'arbres fruitiers du voisinage. Longue avenue tr��s fleurie donnant des illusions de profondeur, elle s'en allait en perspective fuyante, sous des berceaux de vigne et de jasmin, jusqu'�� un recoin qui s'��largissait comme un grand salon de verdure,--puis elle finissait �� un chai, de construction tr��s ancienne, dont les pierres grises disparaissaient sous des treilles et du lierre.
Oh! que je l'ai aim��e, cette cour, et que je l'aime encore!
Les plus p��n��trants premiers souvenirs que j'en aie gard��s, sont, je crois, ceux des belles soir��es longues de l'��t��.--Oh! revenir de la promenade, le soir, �� ces cr��puscules chauds et limpides qui ��taient certainement bien plus d��licieux alors qu'aujourd'hui; rentrer dans cette cour, que les daturas, les ch��vrefeuilles remplissaient des plus suaves odeurs, et, en arrivant, apercevoir d��s la porte toute cette longue enfilade de branches retombantes!... Par-dessous un premier berceau, de jasmin de la Virginie, une trou��e dans la verdure laissait para?tre un coin encore lumineux du rouge couchant. Et, tout au fond, parmi les masses d��j�� assombries des feuillages, on distinguait trois ou quatre personnes bien tranquillement assises sur des chaises;--des personnes en robe noire, il est vrai, et immobiles--mais tr��s rassurantes quand m��me, tr��s connues, tr��s aim��es: m��re, grand'm��re et tantes. Alors je prenais ma course pour aller me jeter sur leurs genoux,--et c'��tait un des instants les plus amusants de ma journ��e.

IX
...Deux enfants, deux tout petits, assis bien pr��s l'un de l'autre, sur des tabourets bas, dans une grande chambre qui s'emplissait d'ombre �� l'approche d'un cr��puscule de mars. Deux tout petits de cinq �� six ans, en pantalons courts, blouses et tabliers blancs par-dessus, �� la mode de ce temps-l��; bien tranquilles, apr��s avoir fait le diable, s'amusant dans un coin avec des crayons et des bouts de papier,--l'esprit inqui��t�� d'une vague crainte cependant, �� cause de la lumi��re mourante.
Des deux b��b��s, un seul dessinait, c'��tait moi. L'autre--un ami invit�� pour la journ��e par exception--regardait faire, du plus pr��s qu'il pouvait. Avec difficult��, mais en confiance cependant, il suivait les fantaisies de mon crayon, que je prenais soin de lui expliquer �� mesure. Et, de fait, les explications devaient ��tre n��cessaires, car j'ex��cutais deux compositions de sentiment que j'intitulais, l'une, le Canard heureux; l'autre, le Canard malheureux.
La chambre o�� cela se passait avait d? ��tre meubl��e vers 1805, quand s'��tait mari��e la pauvre tr��s vieille grand'm��re qui l'habitait encore et qui, ce soir-l��, assise dans son fauteuil de forme Directoire, chantait toute seule sans prendre garde �� nous.
C'est confus��ment que je m'en souviens de cette grand'm��re, car sa mort est survenue peu apr��s ce jour. Et comme
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