Le roman dun enfant | Page 7

Pierre Loti
ne me sera jamais expliqu��.
Au retour du service religieux, un dimanche, ce rayon m'apparut; il entrait dans un escalier de la maison, par une fen��tre entre-baill��e, et s'allongeait d'une certaine mani��re bizarre sur la blancheur d'un mur.
J'��tais revenu du temple seul avec ma m��re, et je montais l'escalier en lui donnant la main; la maison pleine de silence avait cette sonorit�� particuli��re aux midis tr��s chauds de l'��t��; ce devait ��tre en ao?t ou en septembre et, suivant l'usage de nos pays, les contrevents �� demi ferm��s entretenaient une esp��ce de nuit pendant l'ardeur du soleil.
D��s l'entr��e, il me vint une conception d��j�� m��lancolique de ce repos du dimanche qui, dans les campagnes et dans les recoins paisibles des petites villes, est comme un arr��t de la vie. Mais quand j'aper?us ce rayon de soleil plongeant obliquement dans cet escalier par cette fen��tre, ce fut une impression bien autrement poignante de tristesse; quelque chose de tout �� fait incompr��hensible et de tout �� fait nouveau, o�� entrait peut-��tre la notion infuse de la bri��vet�� des ��t��s de la vie, de leur fuite rapide, et de l'impassible ��ternit�� des soleils... Mais d'autres ��l��ments plus myst��rieux s'y m��laient aussi, qu'il me serait impossible d'indiquer m��me vaguement.
Je veux seulement ajouter �� l'histoire de ce rayon une suite qui pour moi y est intimement li��e. Des ann��es et des ann��es pass��rent; devenu homme, ayant vu les deux bouts du monde et couru toutes les aventures, il m'arriva d'habiter, pendant un automne et un hiver, une maison isol��e au fond d'un faubourg de Stamboul. L��, sur le mur de mon escalier, chaque soir �� la m��me heure, un rayon de soleil, arriv�� par une fen��tre, glissait en biais; il ��clairait une sorte de niche qui ��tait creus��e dans la pierre et o�� j'avais pos�� une amphore d'Ath��nes. Eh bien, jamais je n'ai pu voir descendre ce rayon sans repenser �� l'autre, celui de ce dimanche d'autrefois, et sans ��prouver la m��me, pr��cis��ment, la m��me impression triste, �� peine att��nu��e par le temps et toujours aussi pleine de myst��re. Puis, quand le moment vint o�� il me fallut quitter la Turquie, quitter ce petit logis dangereux de Stamboul que j'avais ador��, �� tous les d��chirements du d��part se m��la par instants cet ��trange regret: jamais plus je ne reverrai le soleil oblique de l'escalier descendre sur la niche du mur et sur l'amphore grecque...
��videmment, dans les dessous de tout cela il doit y avoir, sinon des ressouvenirs de pr��existences personnelles, au moins des reflets incoh��rents de pens��es d'anc��tres, toutes choses que je suis incapable de d��gager mieux de leur nuit et de leur poussi��re... D'ailleurs je ne sais plus, je ne vois plus; me voici de nouveau entr�� dans le domaine du r��ve qui s'efface, de la fum��e qui fuit, de l'insaisissable rien...
Et tout ce chapitre, presque inintelligible, n'a d'autre excuse que d'avoir ��t�� ��crit avec un grand effort de sinc��rit��, d'��tre absolument vrai.

VII
Au printemps, �� la toute fra?che splendeur de mai, sur un chemin solitaire appel��: la route des Fontaines...
(J'ai cherch�� �� mettre �� peu pr��s par ordre de date ces souvenirs; je pense que je pouvais avoir cinq ans lorsque ceci se passait.)
Donc, assez grand d��j�� pour me promener avec mon p��re et ma soeur, j'��tais l��, un matin de ros��e, extasi�� de voir tout devenu si vert, de voir si promptement les feuilles ��largies, les buissons touffus; sur les bords du chemin, les herbes mont��es toutes ensemble, comme un immense bouquet sorti en m��me temps de toute la terre, ��taient fleuries d'un d��licieux m��lange de g��raniums roses et de v��roniques bleues; et j'en ramassais, j'en ramassais de ces fleurs, ne sachant auxquelles courir, pi��tinant dessus, me mouillant les jambes de ros��e, ��merveill�� de tant de richesses �� ma discr��tion, voulant prendre �� pleines mains et tout emporter. Ma soeur, qui d��j�� tenait une gerbe d'aub��pines, d'iris, de longues gramin��es comme des aigrettes, se penchait vers moi, me tirant par la main, disant: ?Allons, c'est assez, �� pr��sent; nous ne pourrons jamais tout cueillir, tu vois bien.? Mais je n'��coutais pas, absolument gris�� par la magnificence de tout cela, ne me rappelant pas avoir jamais vu rien de pareil.
C'��tait le commencement de ces promenades avec mon p��re et ma soeur qui, pendant longtemps (jusqu'�� l'��poque maussade des cahiers, des le?ons, des devoirs) se firent presque chaque jour, tellement que je connus de tr��s bonne heure les chemins des environs et les vari��t��s des fleurs qu'on y pouvait moissonner.
Pauvres campagnes de mon pays, monotones mais que j'aime quand m��me; monotones, unies, pareilles; prairies de foins et de marguerites o��, en ces temps-l��, je disparaissais, enfoui sous les tiges vertes; champs de bl��, avec des sentiers bord��s d'aub��pines.... Du c?t�� de l'Ouest, au bout des lointains, je cherchais des yeux la mer qui, parfois, quand on
Continue reading on your phone by scaning this QR Code

 / 65
Tip: The current page has been bookmarked automatically. If you wish to continue reading later, just open the Dertz Homepage, and click on the 'continue reading' link at the bottom of the page.