Patience, Bien-Celer, Contrainte-Abstinence_ et _Faux-Semblant_.
Ces deux derniers sont venus, on ne sait pourquoi, et _Dieu d'Amours_ s'en étonne. Mais _Faux-Semblant_ et _Contrainte-Abstinence_ lui fournissent des explications qui l'engagent à utiliser ces deux auxiliaires. _Faux-Semblant_ est nommé chef de l'armée, et les barons délibèrent sur la manière d'attaquer le chateau. _Faux-Semblant_ et _Contrainte-Abstinence_, déguisés en pèlerins, vont saluer _Malebouche_, et pendant qu'il s'agenouille pour se confesser ils lui sautent à la gorge. _Malebouche_ tire la langue, que _Faux-Semblant_ lui coupe avec un rasoir, puis ils jettent son cadavre dans le fossé. Ils pénètrent alors dans le chateau par la porte que gardait _Malebouche_, aper?oivent les soldats _normands_ ivres dans le corps de garde, les étranglent et font entrer _Largesse_ et _Courtoisie_.
[p. XXXI] Reste la tour à prendre. Les assaillants cherchent encore à user de ruse. La _Vieille_, qui garde _Bel-Accueil_, passe à l'ennemi, revient trouver son prisonnier avec des présents de l'_Amant_, et fait tous ses efforts pour le corrompre et le séduire. _Bel-Accueil_ résiste d'abord aux conseils de la _Vieille_ et refuse. Mais elle insiste; il finit par accepter et consent à recevoir l'_Amant_. Celui-ci arrive aussit?t et va voir combler tous ses voeux. Mais _Danger_ veille. Aidé de _Honte_ et _Peur_, il accourt, et tous trois se précipitent sur l'_Amant_. Ils vont l'étrangler, lorsque l'armée de _Dieu d'Amours_ entend ses cris de détresse et vient à la rescousse. Une bataille s'engage. Mais la victoire reste indécise; les pertes sont grandes, surtout dans l'ost d'_Amour,_ et l'on convient d'une trêve de part et d'autre, tout en restant chacun dans ses positions. _Amour_ profite du répit, et aussit?t envoie prévenir _Vénus_ sa mère de sa position critique. _Vénus_ arrive au moment où son fils vient de rompre la trêve et de recommencer le combat. Mais elle et son fils eussent sans doute succombé sans l'intervention de _Nature_, qui vient réclamer ses droits. Désolée, celle-ci court à son prêtre _Génius_, se plaint à lui qu'on lui fasse tel outrage et l'envoie au secours de l'_Amant. Génius_ arrive, relève le courage des assaillants et dispara?t. L'assaut recommence, et _Vénus_ incendie la tour de son brandon ardent. Panique générale; toute la garnison fuit abandonnant la place. _Franchise_ et _Pitié_ conduisent alors l'_Amant _ à _Bel-Accueil_, et celui-ci peut enfin cueillir la _Rose_.
Avant de passer à l'examen détaillé de tout l'ouvrage, nous ferons remarquer au lecteur que la partie de Guillaume de Lorris contient environ 4,500 vers, celle de Jehan de Meung à peu près 19,000.
[p. XXXII] Cette énorme disproportion surprend tout d'abord. Mais en lisant ce qui va suivre, le lecteur s'expliquera bien vite cette étrange anomalie. Nous nous dispenserons pour le moment de réflexions sur ce sujet; elles trouveront naturellement leur place à la fin de ce travail.
ANALYSE DéTAILLéE.
PARTIE DE GUILLAUME DE LORRIS.
Cette analyse a pour but de faire bien saisir la pensée de l'auteur, en la dégageant des mille allégories dans lesquelles il s'est plu a l'envelopper.
CHAPITRE I.
L'_Amant_ s'endort à la fin d'une belle journée de printemps. Il voit en songe une prairie magnifique, toute couverte de fleurs et de buissons verdoyants, où mille oiselets chanteurs font entendre leurs cris d'allégresse. Cette prairie est traversée par une rivière délicieuse, dont la source est proche, car l'onde est fra?che et pure. L'_Amant_ ravi se prend à suivre tranquillement la rive.
GLOSE.
Comme nous l'avons dit plus haut, en ce roman tout est allégorique. Nous ne devons donc pas voir simplement dans ces premières lignes le commencement d'une aventure que le romancier veut nous raconter.
L'_Amant_ a vingt ans, le printemps pour nous. [p. XXXIII] La grande plaine, c'est le _Monde_; la rivière, c'est la _Vie_, qui s'épanche à son début au milieu de la verdure et des fleurs. En un mot, la jeunesse est le plus beau moment de l'existence. Sans soucis et sans inquiétude, l'_Amant_ voit couler ses jours.
CHAPITRES II A IX.
Soudain se dresse à ses yeux un jardin immense entouré d'un grand mur crénelé, sur lequel, en dehors, sont peintes des images repoussantes, savoir: _Haine, Félonie, Vilenie, Convoitise, Avarice, Envie, Tristesse, Vieillesse, Papelardie_ et _Pauvreté_. L'_Amant_ s'arrête un instant à contempler ces images et cherche à pénétrer dans le jardin. Il ne trouve qu'une petite porte basse et bien fermée, à laquelle il frappe. Une gente damoiselle, _Oyseuse_, vient lui ouvrir. Ce jardin est le séjour de _Déduit_. Là dansaient et jouaient _Déduit, Liesse, Dieu d'Amours, Beauté, Richesse, Largesse, Franchise, Courtoisie, Oyseuse_ et _Jeunesse_.
L'_Amant_ ébloui contemple ce tableau riant, lorsque _Courtoisie_ vient le chercher et l'engage à la karole. Il accepte, choisit la belle _Oyseuse_ pour sa danseuse et prend part à la ronde.
GLOSE.
_Déduit_ ou Plaisir d'Amour, c'est la personnification des jouissances amoureuses, le bonheur de la vie. Son jardin enchanté n'est réservé qu'à un petit nombre d'élus; car pour y entrer, c'est-à-dire pour go?ter dignement toutes les jouissances de l'amour, il faut être
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