sur la _Chronique d'Aquitaine,_ et ne peut faire autorité. Au surplus, elle ne prolongerait la vie de Jehan de Meung que de six ans environ.?
Comme on le voit, les opinions sont bien partagées, autant sur la date de la mort de Jehan de Meung que sur celle de sa naissance. Toutefois, nous trouvons dans le texte même de l'ouvrage plusieurs phrases qui nous permettent de fixer d'une manière à peu près certaine la naissance des deux poètes et la mort de Guillaume de Lorris.
Tout d'abord celui-ci nous indique son age dès le début de son roman: ?Il y a bien de cela cinq ans au moins.... Au vingtième an de mon age.? Il avait donc vingt-cinq ans passés, et comme Jehan de Meung lui-même nous déclare avoir entrepris la continuation du roman plus de quarante ans [p. XXIII] après la mort de Guillaume de Lorris, on peut donc affirmer que celui-ci est mort à vingt-six ans au moins. Maintenant essayons d'établir la date exacte où Jehan de Meung entreprit son ouvrage et son age approximatif, et nous aurons tranché à peu près toute la question.
M. Raynouard fait observer que dans la partie de Jehan de Meung, on trouve des vers qui n'ont pu être écrits, au plus tard, que vers l'an 1280. Après avoir parlé de Mainfroi, le poète nomme Charles d'Anjou comme vivant et possédant encore le royaume de Sicile:
Qui par divine porvéance?Est ores de Sesile rois.
Or, Charles d'Anjou mourut en 1285; mais il avait été expulsé de Sicile quelques années auparavant. En effet, les Vêpres siciliennes sont de 1282.
Donc, si nous admettons que Jehan de Meung ait écrit ces vers avant 1282, comme il reprit l'oeuvre de Guillaume plus de quarante ans après la mort de celui-ci, on en doit conclure que Guillaume de Lorris mourut entre 1235 et 1240 et naquit vingt-six ans plus t?t, c'est-à-dire entre 1209 et 1214.
Un peu plus loin nous lisons un passage qui prouve que Jehan de Meung n'avait pas quarante ans lorsqu'il entreprit de terminer le _Roman de la Rose_. Le Dieu d'Amours, après avoir parlé de Guillaume de Lorris qui va mourir, dit de Jehan de Meung:
...Celi qui est à nestre.
Partant de là, nous serons amené à tirer les conséquences suivantes:
Jehan de Meung écrivit le _Roman de la Rose_ avant [p. XXIV] 1282, et il n'avait pas quarante ans. Or, le passage où il est parlé de Mainfroi se trouve dès le début de l'oeuvre de Jehan de Meung, qui dut demander plusieurs années de travail. Nous serons donc fondé à fixer à peu près à l'année 1275 la date de ces vers. Puis, nous rangeant à l'avis de Fauchet, Thévet et Méon, que ce livre n'a pu sortir de la plume d'un jeune homme, mais d'un savant consommé, d'un écrivain de trente à trente-cinq ans, nous devrons repousser sa naissance à l'année 1240 ou 1245 au moins. Il en résulterait, si nous admettons l'année 1310 comme date de sa mort, qu'il vécut au moins soixante-cinq ans, et l'année 1322, soixante-dix-sept ans. Cette date de 1245 n'a rien d'exagéré, mais ne saurait être rappochée de nous; car, selon Jehan de Meung lui-même, le _Roman de la Rose_ serait une oeuvre de sa jeunesse. En effet, nous lisons dans son testament:
J'ai fait en ma jonesce maint diz par vanité?Où maintes gens se sont pluseurs fois délité.
Quoi qu'il en soit, Jehan de Meung dut couler d'heureux jours dans une tranquillité profonde, car, malgré la haute considération dont il jouissait à la cour, si nous en croyons les historiens, il ne se trouva mêlé en rien aux grands événements qui signalèrent le règne de Philippe-le-Bel.
Il passa presque toute sa vie dans la capitale, où il possédait, dit Félibien, en 1313, dans l'arrondissement de la paroisse Saint-Benoist, une maison devant laquelle était un puits.
C'est à peine si la tradition nous a conservé deux anecdotes sur cet homme distingué, et encore sont-elles sérieusement contestées. Ces deux anecdotes [p. XXV] sont rapportées par Thévet dans la vie de Jehan de Meung que nous avons réimprimée à la suite de l'analyse complète du _Roman de la Rose_.
La première est évidemment controuvée, puisque l'aventure qu'elle rapporte est tirée d'un livre italien. Elle arriva, non pas à Jehan de Meung, mais à Guilhem de Bargemon, gentilhomme et poète proven?al du temps du comte Raimond Béranger, et par conséquent plus ancien que notre poète.
Quant à la seconde, elle est si bien en rapport avec l'esprit malin de notre Orléanais, que nous sommes tout disposé à l'accepter comme vraie, malgré l'opinion de Jehan Bouchet, qui ne la raconte que comme ou?-dire, sans y ajouter foi. Du reste, ces choses-là ne s'inventent pas.
Nous voulons parler de l'anecdote où est racontée la manière dont Jehan de Meung trouva moyen de se faire enterrer pompeusement, sans bourse délier, par ceux mêmes qu'il avait si
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