Le roman de la rose | Page 7

Guillaume de Lorris-Jean de Meung
cil et cele,
Quel qu'ele soit, dame ou pucele,
Jà soit ce que du
déliter
Ne doient pas lor part quiter.
Mès ge sai bien qu'il en sunt
maintes
Qui ne vuelent pas estre ençaintes,
Et s'el le sunt, il lor en
poise:
Si n'en font-eles plet ne noise,
Se n'est aucune fole et nice

Où Honte n'a point de justice.
Briefment tuit à délit s'accordent
Cil
qui à cele ovre s'amordent,
Se ne sunt gens qui riens ne vaillent,

Qui por deniers vilment se baillent,
Qu'el ne sunt pas des lois liées

Par lors ordes vies soilliées.
Mès jà certes n'iert fame bonne,
Qui
por dons prendre s'abandonne:
Nus homs ne se devroit jà prendre
A
fame qui sa char vuet vendre.
Pense-il que fame ait son cors chier,

Qui tout vif le soffre escorchier?
Bien est chétis et défoulés
Hons
qui si vilment est boulés,
Qui cuide que tel fame l'aime,
Por ce que
son ami le claime,
[p. 35]
Et ne la ramène en la fin 4791
A la vertu, bien souverain,
Dont jadis
la sevrait Jeunesse
L'abreuvant de vaine liesse;
Car alors elle voit et
sent
Combien précaire est le présent.
L'amant donc, en toute
occurrence,
Doit chercher pure jouissance
En amour; ne doit
redouter

Femme ni fille d'enfanter,
Et le plaisir ne leur doit faire

Quitter leur mission sur terre.
Je sais bien que le plus souvent

Femme ne veut faire d'enfant
Et se désole d'être enceinte;
Nulle
n'en fait noise ni plainte
Pourtant, à moins d'être sans coeur
Et sans
vergogne et sans pudeur.
Bref, chacun en l'oeuvre charnelle
Ne voit
qu'ivresse mutuelle,
Fors ces gens dignes de mépris
Qui leur amour
mettent à prix,
Les lois violant de Nature,
Et n'en font plus qu'une
oeuvre impure.
Car femme est vile assurément
Qui se livre pour de

l'argent;
Nul homme ne se devrait prendre
A femme qui veut sa
chair vendre.
Croit-il que femme ait son corps cher
Qui tout vif le
souffre écorcher?
Est-il si naïf et si bête,
Parce que femme lui fait
fête
Et l'a son tendre ami nommé,
De croire qu'il en soit aimé?
[p. 36]
Et qu'el li rit et li fait feste. 4811
Certainement nule tel beste
Ne
doit estre amie clamée,
Ne n'est pas digne d'estre amée.
L'en ne doit
riens priser moillier
Qui homme bée à despoillier.
Ge ne di pas que
bien n'en port
Et par solas et par déport,
Ung joelet, se ses amis

Le li a donné ou tramis;
Mès qu'ele pas ne le demant,
Qu'el le
prendroit trop laidement:
Et des siens ausinc li redoigne,
Se faire le
puet sans vergoigne;
Ainsinc lor cuers ensemble joignent,
Bien
s'entrament, bien s'entredoignent.
Ne cuidiés pas que ges dessemble

Ge voil bien qu'il voisent ensemble,
Et facent quanqu'il doivent
faire,
Comme cortois et debonnaire;
Mès de la fole Amor se gardent,

Dont li cuers esprennent et ardent,
Et soit l'Amor sans convoitise

Qui les faus cuers de prendre atise.
Bone amor doit de fin cuer nestre,

Dons n'en doivent pas estre mestre
Ne que font corporel solas:

Mais l'amor qui te tient où las,
Charnex delis te represente,
Si que
tu n'as aillors t'entente:
Por ce veus-tu la Rose avoir,
Tu n'i songes
nul autre avoir;
Mès tu n'en es pas à deus doie,
C'est ce qui la pel
t'amegroie,
[p. 37]
O fou qu'un sourire ensorcelé! 4825

Crois-moi, ce n'est pas brute telle

Qu'il faut pour amante chérir,
Une plus digne il faut choisir.

Laisse la femme méprisable
Qui veut dépouiller son semblable.

Cependant femme à la rigueur
Peut, s'il lui plaît, sans déshonneur,

Porter joyaux en sa parure,
Présents d'amoureuse nature;
Mais
jamais ne doit demander,
Car ce serait se marchander.
Voire, sans
qu'on le trouve étrange,
Elle peut donner en échange;
Constant et

mutuel retour
Les dons entretiennent l'amour.
Les amants je ne
désassemble;
Je veux bien qu'ils aillent ensemble
Et fassent leur
devoir tous deux
En courtois et francs amoureux,
Mais se gardent
de l'amour folle
Qui vous consume et vous affole,
Et de l'amour
intéressé
Par qui maint coeur faux est poussé.
Bonne-Amour doit de
fin coeur naître,
L'argent n'en doit pas être maître
Non plus la seule
volupté.
Or cette amour qui t'a dompté
Plaisirs charnels te
représente;
Tu n'as plus ailleurs nulle entente.
Aussi veux-tu la
Rose avoir
Et ne veux autre chose voir.
Mais tu es loin du but
encore,
C'est ce qui ta peau décolore
[p. 38]
Et qui de toutes vertus t'oste. 4845
Moult recéus dolereus hoste,

Quant Amors onques hostelas[14];
Mauvès hoste en ton hostel as,

Por ce te lo que hors le boutes,
Qu'il te tost les pensées toutes
Qui te
doivent à preu torner:
Ne l'i laisse plus séjorner.
Trop sunt à grant
meschief livré
Cuers qui d'Amors sunt enivré;
En la fin encor le
sauras
Quant ton tens perdu i auras,
Et dégastée ta jonesce
En
ceste dolente léesce.
Se tu pués encore tant vivre
Que d'Amors te
voies délivre,
Le tens qu'auras perdu plorras,
Mès recovrer ne le
porras,
Encor se par tant en eschapes:
Car en l'Amor où tu t'entrapes,

Maint i perdent, bien dire l'os,
Sens, tens, chastel, cors, ame et los.
L'Amant.
Ainsinc Raison me préeschoit;

Mès Amors tout empéeschoit
Que
riens à ovre n'en méisse,
Jà soit ce que bien entendisse
Mot à mot
toute la matire,
Mès Amors si formant m'atire,
Que par tretous mes
pensers chace
Cum cil qui par tout a sa chace,
Et tous jors tient mon
cuer sous s'êle.
Hors de ma teste à une pele,
[p. 39]

Et te ravit toute vertu. 4859
Quel fatal hôte as-tu reçu,
Quand Dieu
d'Amours franchit ta porte[14]?
Aussi, crois-moi quand je t'exhorte

De ton logis à le chasser,
Il te ravit tout bon penser,
Et c'est
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