Le roman de la rose | Page 3

Guillaume de Lorris-Jean de Meung
comment que de moi aviengne, 4439?Je li pri que il li soviengne?De Bel-Acueil après ma mort,?Qui sans moi mal faire m'a mort.?Et toutesfois, por li déduire,?A vous, Amors, ains que ge muire,?Dès que ne puis porter son fès,?Sans repentir me fais confès,?Si cum font li loial Amant,?Et voil faire mon testament.?Au départir mon cuer li lés,?Jà ne seront autre mi lés.

XXXIV
Cy est la très-belle Raison,?Qui est preste en toute saison?De donner bon conseil à ceulx?Qui d'eulx saulver sont paresceux.
Tant cum ainsinc me démentoie?Des grans dolors que ge sentoie,?Ne ne savoie où querre mire?De ma tristece ne de m'ire,?Lors vi droit à moi revenant?Raison la bele, l'avenant,?Qui de sa tor jus descendi?Quant mes complaintes entendi:?Car, selonc ce qu'ele porroit,?Moult volentiers me secorroit.
Raison.
Biaus Amis, dist Raison la bele,?Comment se porte ta querele?
[p. 13]
Mais, quoi qu'il me puisse advenir, 4451?Qu'il daigne au moins se souvenir?De Bel-Accueil, si je succombe,?Dont la bonté creusa ma tombe.?Toutefois recevez, Amour,?Avant que je meure, en ce jour,?Puisque trop lourde est ma misère,?Pour lui ma volonté dernière;?Oyez du plus fidèle amant?Les derniers voeux, le testament:?Mon coeur, mon unique richesse,?Au départir à lui je laisse.

XXXIV
Ici la très-belle Raison?Revient, qui en toute saison?De ses sages conseils dirige?Celui qui son salut néglige.
Tandis qu'ainsi me lamentais?Des grand' douleurs que je sentais,?Et qu'en vain cherchais allégeance?A ma tristesse et ma souffrance,?Je vis droit à moi revenir,?Lorsqu'elle m'entendit gémir,?Raison, la belle, l'entendue,?De sa tour en bas descendue,?Car autant comme elle pouvait?Moult volontiers me secourait.
Raison.
Ami, dit Raison la jolie,?Comment se porte ta folie?
[p. 14]
Seras-tu jà d'amer lassés? 4467?N'as-tu mie éu mal assés??Que te semble des maus d'amer??Sunt-il trop dous ou trop amer??En s?ai-tu le meillor eslire?Qui te puist aidier et soffire??As-tu or bon seignor servi,?Qui si t'a pris et asservi,?Et te tormente sans sejor??Il te meschéi bien le jor?Que tu hommage li féis,?Fox fus quant à ce te méis;?Mès sans faille tu ne savoies?A quel seignor afaire avoies:?Car se tu bien le congnéusses,?Onques ses homs esté n'éusses;?Ou se tu l'éusses esté,?Jà nel' servisses ung esté,?Non pas ung jor, non pas une hore,?Ains croi que sans point de demore?Son hommage li renoiasses,?Ne jamès par Amor n'amasses.?Congnois-le tu point?
L'Amant.
O?l, Dame.
Raison.
Non fais.
L'Amant.
Si fais.
Raison.
De quoi, par t'ame?
[p. 15]
Ne seras-tu d'aimer lassé? 4479?N'as-tu de maux encore assé??Cet Amour est-il, que t'en semble,?Amer ou doux, ou tout ensemble??De ses maux, dis-moi, le meilleur?Suffira-t-il à ton bonheur??C'est là, je crois, un moult bon ma?tre?Qui t'asservit, t'a pris en tra?tre?Et te tourmente sans séjour.?Comme tu fus heureux le jour?Où tu te mis en son servage?Et lui rendis ton fol hommage!?évidemment tu ne savais?A quel seigneur affaire avais.?Car si tu l'avais su, je pense,?Tu n'aurais fait telle imprudence;?Ou si son homme avais été,?Servi ne l'aurais un été,?Non pas un jour, non pas une heure;?Mais, je crois, sans plus de demeure,?Son hommage aurais renié?Et par Amour n'aurais aimé.?Le connais-tu ce jour?
L'Amant.
Oui, Dame.
Raison.
Nenni.
L'Amant.
Si.
Raison.
Comment, par ton ame?
[p. 16]
L'Amant.
De tant qu'il me dist: Tu dois estre 4491?Moult liés, dont tu as si bon mestre,?Et seignor de si haut renon.
Raison.
Congnois-le tu de plus?
L'Amant.
Ge non,?Fors tant qu'il me bailla ses regles,?Et s'en fo? plus tost c'uns egles,?Et je remès en la balance.
Raison.
Certes, c'est povre congnoissance;?Mais or voil que tu le congnoisses,?Qui tant en as éu d'angoisses,?Que tout en est deffigurés.?Nus las chetis mal-éurés?Ne puet faire emprendre greignor:?Bon fait congnoistre son seignor;?Et se cestui bien congnoissoies,?Légiérement issir porroies?De la prison où tant empires.
L'Amant.
Dame, ne puis, il est mes Sires[3],?Et ge ses liges homs entiers[4];?Moult i entendist volentiers?Mon cuer, et plus en apréist,?S'il fust qui le?on m'en préist.
[p. 17]
L'Amant.
Il dit: ?Tu dois être flatté 4503?Que t'ait pour son homme accepté,?De tel renom seigneur et ma?tre.?
Raison.
Ne s'est-il pas fait plus conna?tre?
L'Amant.
Non, fors qu'il m'a baillé ses lois?Et, comme un aigle, par les bois?S'enfuit, me laissant en balance.
Raison.
Certes, c'est pauvre connaissance.?Je veux que tu connaisses mieux?Qui t'a rendu si malheureux?Que tu en es méconnaissable.?Il n'est être si misérable?Dont ne soit moindre le labeur.?Bon fait conna?tre son seigneur,?Et si tu connaissais ce ma?tre,?Sortir essaierais-tu peut-être?De la prison où tu languis.
L'Amant.
C'est mon sire[3], dame, ne puis;?Je me suis fait son homme lige[4]?Pourtant du joug mon coeur s'afflige?Et volontiers le secouerait,?Un bon moyen s'il apprenait.
[p. 18]
Raison.
Par mon chief, ge la te voil prendre, 4513?Puis que tes cuers i vuet entendre.?Or te démonsterrai sans fable?Chose qui n'est point démonstrable;?Si sauras tantost sans science,?Et congnoistras sans congnoissance?Ce qui ne puet estre séu,?Ne démonstré, ne congnéu.?Quant à ce que jà plus en sache?Nus homs qui son cuer i atache,?Ne que por ce jà mains s'en dueille,?S'il n'est tex que fo?r le vueille,?Lors t'aurai le neu desnoé?Que tous jors troveras noé.?Or i met bien t'entencion,?Vez-en ci la descripcion.?Amors ce est paix ha?neuse,?Amors est ha?ne amoreuse;?C'est loiautés la desloiaus,?C'est la desloiauté loiaus;?C'est paor toute asséurée,?Esperance desesperée;?C'est raison toute forcenable,?C'est forcenerie resnable;?C'est dous péril à soi noier,?Grief fais legier à paumoier;?C'est Caribdis la périlleuse[5],?Désagréable et gracieuse;?C'est langor toute santéive,?C'est santé toute maladive;?C'est fain saoule
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