Le roi Jean | Page 6

William Shakespeare
de mépris.]
éLéONORE.--Tu me plais: veux-tu renoncer à ta fortune, lui abandonner ton bien et me suivre? Je suis un soldat et sur le point de passer en France.
PHILIPPE FAULCONBRIDGE.--Frère, prenez mon bien, je prendrai, moi, la chance qui m'est offerte. Votre figure vient de gagner cinq cents livres de revenu; cependant, vendez-la cinq sous, et ce sera cher.--Madame, je vous suivrai jusqu'à la mort.
éLéONORE.--Ah! mais je voudrais que vous y arrivassiez avant moi.
PHILIPPE FAULCONBRIDGE.--L'usage à la campagne est de céder à nos supérieurs.
LE ROI JEAN.--Quel est ton nom?
PHILIPPE FAULCONBRIDGE.--Philippe, mon souverain, c'est ainsi que commence mon nom. Philippe, fils a?né de la femme du bon vieux sir Robert.
LE ROI JEAN.--Dès aujourd'hui porte le nom de celui dont tu portes la figure. Agenouille-toi Philippe, mais relève-toi plus grand, relève-toi sir Richard et Plantagenet.
PHILIPPE FAULCONBRIDGE.--Frère du c?té maternel, donnez-moi votre main; mon père me donna de l'honneur, le v?tre vous donna du bien.--Maintenant, bénie soit l'heure de la nuit ou du jour où je fus engendré en l'absence de sir Robert!
éLéONORE.--La vraie humeur des Plantagenets!--Je suis ta grand'mère, Richard; appelle-moi ainsi.
PHILIPPE FAULCONBRIDGE.--Par hasard, madame, et non par la bonne foi. Eh bien, quoi? légèrement à gauche, un peu hors du droit chemin, par la fenêtre ou par la lucarne: qui n'ose sortir le jour marche nécessairement de nuit; tenir est tenir, de quelque manière qu'on y soit parvenu; de près ou de loin a bien gagné qui a bien visé; et je suis moi, de quelque fa?on que j'aie été engendré.
LE ROI JEAN.--Va, Faulconbridge, tu as maintenant ce que tu voulais: un chevalier sans terre te fait écuyer terrier.--Venez, madame, et vous aussi Richard, venez. Hatons-nous de partir pour la France, pour la France, cela est plus que nécessaire.
PHILIPPE FAULCONBRIDGE.---Frère, adieu: que la fortune te soit favorable, car tu fus engendré dans la voie de l'honnêteté. (Tous les personnages sortent, excepté Philippe.) D'un pied d'honneur plus riche que je n'étais, mais plus pauvre de bien, bien des pieds de terrain.--Allons, actuellement je puis faire d'une Jeannette une lady.--Bonjour, sir Richard.--Dieu vous le rende, mon ami.--Et s'il s'appelle George, je l'appellerai Pierre; car un honneur de date récente oublie le nom des gens: ce serait trop attentif et trop poli pour votre changement de destinée.--Et votre voyageur[4].--Lui et son cure-dent ont leur place aux repas de ma seigneurie; et lorsque mon estomac de chevalier est satisfait, alors je promène ma langue autour de mes dents, et j'interroge mon élégant convive sur les pays qu'il a parcourus: Mon cher monsieur (c'est ainsi que je commence, appuyé sur mon coude), je vous supplie...--Voilà la demande, et voici incontinent la réponse, comme dans un alphabet: O monsieur, dit la réponse, à vos ordres très-honorés, à votre service, à votre disposition, monsieur....--Non, monsieur, dit la question: c'est moi, mon cher monsieur, qui suis à la v?tre... et la réponse devinant toujours ainsi ce que veut la demande, épargne un dialogue de compliments, et nous entretient des Alpes, des Apennins, des Pyrénées et de la rivière du P?, arrivant ainsi à l'heure du souper. Voilà la société digne de mon rang, et qui cadre avec un esprit ambitieux comme le mien! car c'est un vrai batard du temps (ce que je serai toujours quoique je fasse) celui qui ne se pénètre pas des moeurs qu'il observe, et cela, non-seulement par rapport à ses habitudes de corps et d'esprit, ses formes extérieures et son costume, mais qui ne sait pas encore débiter de son propre fonds le doux poison, si doux au go?t du siècle: ce que toutefois je ne veux point pratiquer pour tromper, mais que je veux apprendre pour éviter d'être trompé, et pour semer de fleurs les degrés de mon élévation.--Mais, qui vient si vite en costume de cheval? Quelle est cette femme postillon? N'a-t-elle point de mari qui prenne la peine de sonner du cor devant elle? (Entrent lady Faulconbridge et Jacques Gourney.) O Dieu! c'est ma mère! Quoi! vous à cette heure, ma bonne dame? qui vous amène si précipitamment ici, à la cour?
[Note 4: Recevoir et questionner les voyageurs était du temps de Shakspeare l'un des passe-temps les plus recherchés de la bonne compagnie. L'usage du cure-dent était regardé comme une affectation de go?t pour les modes étrangères.]
LADY FAULCONBRIDGE.--Où est ce misérable, ton frère? où est celui qui pourchasse en tous sens mon honneur?
LE BATARD.--- Mon frère Robert? le fils du vieux sir Robert? le géant Colbrand[5], cet homme puissant? est-ce le fils de sir Robert que vous cherchez ainsi?
[Note 5: Colbrand était un géant danois que Guy de Warwick vainquit en présence du roi Athelstan.]
LADY FAULCONBRIDGE.--Le fils de sir Robert! Oui, enfant irrespectueux, le fils de sir Robert: pourquoi ce mépris pour sir Robert? Il est le fils de sir Robert, et toi aussi.
LE BATARD.--Jacques Gourney, voudrais-tu nous laisser pour un moment?
GOURNEY.--De
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