Le roi Jean | Page 5

William Shakespeare
la tête de ma mère; mais que je sois aussi bien engendré que lui, mon souverain (que les os qui prirent cette peine pour moi reposent doucement), comparez nos visages, et jugez vous-même, si le vieux sir Robert nous engendra tous deux, s'il fut notre père;--que celui-là lui ressemble. O vieux sir Robert, notre père, je remercie le ciel à genoux de ce que je ne vous ressemble pas!
LE ROI JEAN.--Quelle tête à l'envers le ciel nous a envoyée là!
éLéONORE.--Il a quelque chose du visage de Coeur de Lion, et l'accent de sa voix le rappelle; ne découvrez-vous pas quelques traces de mon fils dans la robuste structure de cet homme?
LE ROI JEAN.--Mon oeil a bien examiné les formes et les trouve parfaitement celles de Richard. Parle, dr?le, quels sont tes motifs pour prétendre aux biens de ton frère?
PHILIPPE FAULCONBRIDGE.--Parce qu'il a une moitié du visage semblable à mon père; avec cette moitié de visage il voudrait avoir tous mes biens. Une pièce de quatre sous[1] à demi face, cinq cents livres de revenu!
[Note 1: Half faced groat, ce fut sous Henri VII que l'on frappa des groats, pièces de quatre sous portant la figure du roi de profil. Jusque-là presque toutes les monnaies d'argent avaient porté la figure de face.]
ROBERT FAULCONBRIDGE.--Mon gracieux souverain, lorsque mon père vivait, votre frère l'employait beaucoup.
PHILIPPE FAULCONBRIDGE.--Fort bien; mais cela ne fait pas que vous puissiez, monsieur, vous emparer de mon bien; il faut que vous nous disiez comment il employait ma mère.
ROBERT FAULCONBRIDGE.--Une fois il l'envoya en ambassade en Allemagne pour y traiter avec l'empereur d'affaires importantes de ce temps-là. Le roi se prévalut de son absence, et tout le temps qu'elle dura, il séjourna chez mon père. Vous dire comment il y réussit, j'en ai honte, mais la vérité est la vérité. De vastes étendues de mer et de rivages étaient entre mon père et ma mère, (comme je l'ai entendu dire à mon père lui-même), lorsque ce vigoureux gentilhomme que voilà fut engendré. A son lit de mort il me légua ses terres par testament, et jura par sa mort que celui-ci, fils de ma mère, n'était point à lui; ou que s'il l'était, il était venu au monde quatorze grandes semaines avant que le cours du temps f?t accompli. Ainsi donc, mon bon souverain, faites que je possède ce qui est à moi, les biens de mon père, suivant la volonté de mon père.
LE ROI JEAN.--Jeune homme, ton frère est légitime; la femme de ton père le con?ut après son mariage; et si elle n'a pas joué franc jeu, à elle seule en est la faute; faute dont tous les maris courent le hasard du jour où ils prennent femme. Dis-moi, si mon frère, qui, à ce que tu dis, prit la peine d'engendrer ce fils, avait revendiqué de ton père ce fils comme le sien, n'est-il pas vrai, mon ami, que ton père aurait pu retenir ce veau, né de sa vache, en dépit du monde entier; oui, ma foi, il l'aurait pu: donc, si étant à mon frère, mon frère ne pouvait pas le revendiquer, ton père non plus ne peut point le refuser, lors même qu'il n'est pas à lui.--Cela est concluant.--Le fils de ma mère engendra l'héritier de ton père; l'héritier de ton père doit avoir les biens de ton père.
ROBERT FAULCONBRIDGE.--La volonté de mon père n'aura donc aucune force, pour déposséder l'enfant qui n'est pas le sien?
PHILIPPE FAULCONBRIDGE.--Pas plus de force, monsieur, pour me déposséder que n'en eut sa volonté pour m'engendrer, à ce que je présume.
éLéONORE.--Qu'aimerais-tu mieux: être un Faulconbridge et ressembler à ton frère, pour jouir de ton héritage, ou être réputé le fils de Coeur de Lion, seigneur de ta bonne mine, et pas de biens avec?
PHILIPPE FAULCONBRIDGE.--Madame, si mon frère avait ma tournure et que j'eusse la sienne, celle de sir Robert, à qui il ressemble, si mes jambes étaient ces deux houssines comme celles-là, que mes bras fussent ainsi rembourrés comme des peaux d'anguille, ma face si maigre, que je craignisse d'attacher une rose à mon oreille, de peur qu'on ne d?t: voyez où va cette pièce de trois liards[2], et que je fusse, à raison de cette tournure, héritier de tout ce royaume, je ne veux jamais bouger de cette place, si je ne donnais jusqu'au dernier pouce pour avoir ma figure. Pour rien au monde je ne voudrais être sir Rob[3].
[Note 2: Where three farthings goes. La reine élisabeth avait fait frapper différentes pièces de monnaies, entre autres des pièces de trois farthings, environ trois liards, portant d'un c?té son effigie et de l'autre une rose. La pièce de trois farthings était d'argent et extrêmement mince; la mode de porter une rose à son oreille appartenait au même temps.]
[Note 3: Rob diminutif de Robert, et probablement un terme
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