Le roi Jean | Page 7

William Shakespeare
tout mon coeur, bon Philippe.
LE BATARD.--Philippe! le pierrot[6]!--Jacques, il court des bruits.... Tant?t je t'en dirai davantage. (Jacques sort.)--Madame je ne suis point le fils du vieux sir Robert; sir Robert aurait pu manger un vendredi saint toute la part qu'il a eue en moi, sans rompre son je?ne; Sir Robert pouvait bien faire, mais de bonne foi, avouez-le, a-t-il pu m'engendrer? Sir Robert ne le pouvait pas; nous connaissons de ses oeuvres.--Ainsi donc, ma bonne mère, à qui suis-je redevable de ces membres? Jamais sir Robert n'a aidé à faire cette jambe.
LADY FAULCONBRIDGE.--T'es-tu ligué avec ton frère, toi, qui pour ton propre avantage devrais défendre mon honneur? Que veut dire ce mépris, varlet indiscipliné[7]?
LE BATARD.--Chevalier, chevalier, ma bonne mère, comme Basilisco[8]. Je viens d'être armé; et j'ai le coup sur mon épaule. Mais, ma mère, je ne suis plus le fils de sir Robert; j'ai renoncé à sir Robert et à mon héritage; nom, légitimité, tout est parti; ainsi, ma bonne mère, faites-moi conna?tre mon père; c'est quelque homme bien tourné, j'espère: qui était-ce, ma mère?
[Note 6: On donne aux pierrots le nom de Philippe, à cause de leur cri qui para?t se rapprocher du son de ce nom.]
[Note 7: Knave. Ce nom de varlet, porté par les jeunes gentilshommes qui n'avaient point encore pris rang dans la chevalerie, était ici le sens exact du mot knave, et le seul qui p?t faire comprendre la réponse du batard. Pour conserver leur véritable couleur et toute leur énergie, les pièces de Shakspeare, du moins celles dont le sujet est tiré de l'histoire d'Angleterre, auraient besoin d'être traduites en vieux langage.]
[Note 8: Basilisco, personnage ridicule d'une mauvaise comédie anglaise.]
LADY FAULCONBRIDGE.--As-tu nié d'être un Faulconbridge?
LE BATARD.--D'aussi grand coeur que je renie le diable.
LADY FAULCONBRIDGE.--Le roi Richard Coeur de Lion fut ton père; séduite par une poursuite assidue et pressante, je lui donnai place dans le lit de mon mari. Que le ciel ne me l'impute point à péché! Tu fus le fruit d'une faute qui m'est encore chère, et à laquelle je fus trop vivement sollicitée, pour pouvoir me défendre.
LE BATARD.--Maintenant, par cette lumière, si j'étais encore à na?tre, madame, je ne souhaiterais pas un plus noble père. Il est des fautes privilégiées sur la terre, et la v?tre est de ce nombre: votre faute ne fut point folie. Il fallait bien mettre votre coeur à la discrétion de Richard, comme un tribut de soumission à son amour tout-puissant; de Richard dont le lion intrépide ne put soutenir la furie et la force incomparable, ni préserver son coeur royal de la main du héros[9]. Celui qui ravit de force le coeur des lions, peut facilement s'emparer de celui d'une femme. Oui, ma mère, de toute mon ame je vous remercie de mon père! Qu'homme qui vive ose dire que vous ne f?tes pas bien, lorsque je fus engendré, j'enverrai son ame aux enfers. Venez, madame, je veux vous présenter à mes parents; et ils diront que le jour où Richard m'engendra, si tu lui avais dit non, c'e?t été un crime. Quiconque dit que c'en fut un en a menti; je dis, moi, que ce n'en fut pas un.
[Note 9: Allusion à une ancienne romance et à de vieilles chroniques où l'on raconte que le roi Richard arracha le coeur d'un lion que le duc d'Autriche avait fait entrer dans sa prison pour le dévorer, en vengeance de la mort de son fils tué par Richard d'un coup de poing. Ce fut de cet exploit, disent la romance et les chroniques, que lui vint le surnom de Coeur de Lion, et c'est la peau portée par Richard que l'archiduc est supposé lui avoir prise après l'avoir tué.]
FIN DU PREMIER ACTE.

ACTE DEUXIèME
SCèNE I.
La scène est en France.--Devant les murs d'Angers.
Entrent d'un c?té L'ARCHIDUC D'AUTRICHE et ses soldats; de l'autre PHILIPPE, roi de France et ses soldats; LOUIS, CONSTANCE, ARTHUR et leur suite.
LOUIS.--Soyez les bien arrivés devant les murs d'Angers, vaillant duc d'Autriche.--Arthur, l'illustre fondateur de ta race, Richard qui arracha le coeur à un lion et combattit dans les saintes guerres en Palestine, descendit prématurément dans la tombe par les mains de ce brave duc[10]; et lui, pour faire réparation à ses descendants, est ici venu sur notre demande déployer ses bannières pour ta cause, mon enfant, et faire justice de l'usurpation de ton oncle dénaturé, Jean d'Angleterre: embrasse-le, chéris-le, souhaite-lui la bienvenue.
[Note 10: Richard.--By this brave duke came early to his grave. (Voyez la note précédente.)]
ARTHUR.--Dieu vous pardonne la mort de Coeur de Lion, d'autant mieux que vous donnez la vie à sa postérité, en ombrageant ses droits sous vos ailes de guerre. Je vous souhaite la bienvenue d'une main sans pouvoir, mais avec un coeur plein d'un amour sincère: duc, soyez le bienvenu devant les portes d'Angers.
LOUIS.--Noble enfant! qui ne voudrait
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