Le robinson suisse | Page 7

Johann David Wyss
ne tarda pas à revenir; mais le sel qu'il apportait était mêlé de terre, et nous allions
le jeter, lorsque ma femme eut l'idée de le faire fondre dans l'eau, et de passer cette eau
dans un linge avant de la mêler dans la soupe.
Tandis que j'expliquais à notre étourdi de Jack, qui m'avait demandé pourquoi nous
n'avions pas pris simplement de l'eau de mer, que cette eau n'aurait pu nous servir parce
qu'elle contient d'autres matières d'un goût désagréable, ma femme acheva la soupe et
nous annonça qu'elle était bonne à manger.
«Un moment, lui dis-je, nous attendons Fritz; et d'ailleurs, comment nous y prendre pour

la manger? Tu ne veux sans doute pas que nous portions tour à tour à notre bouche ce
chaudron lourd et brûlant!
--Si nous avions des noix de coco, dit Ernest, nous les couperions en deux et nous en
ferions des cuillers.
--Si nous avions de magnifiques couverts d'argent, répliquai-je, cela vaudrait bien mieux.
--Mais au moins, reprit-il, nous pourrions nous servir de coquillages.
--Bonne idée! m'écriai-je! mais, ma foi, nos doigts pourraient bien tremper dans la soupe,
car nos cuillers n'auront pas de manches. Va donc nous en chercher.»
Jack se leva en même temps et se mit à courir; et il était déjà dans l'eau bien avant que
son frère fût arrivé au rivage. Il détacha une grande quantité d'huîtres et les jeta à Ernest,
qui les enveloppa dans son mouchoir, tout en ramassant un grand coquillage, qu'il mit
avec soin dans sa poche. Tandis qu'ils revenaient, nous entendîmes la voix de Fritz dans
le lointain. Nous y répondîmes avec de joyeuses acclamations, et je me sentis soulagé
d'un grand poids, car son absence nous avait fort inquiétés.
Il s'approcha de nous, une main derrière son dos, et nous dit d'un air triste: «Rien.
--Rien? dis-je.
--Hélas! non,» reprit-il. Au même instant ses frères, qui tournaient autour de lui, se mirent
à crier: «Un cochon de lait! un cochon de lait! Où l'as-tu trouvé? Laisse-nous voir.» Tout
joyeux alors, il montra sa chasse.
Je lui reprochai sérieusement son mensonge, et lui demandai de nous raconter ce qu'il
avait vu dans son excursion. Après un moment d'embarras, il nous fit une description
pittoresque des beautés de ces lieux, ombragés et verdoyants, dont les bords étaient
couverts des débris du vaisseau, et nous demanda pourquoi nous n'irions pas nous établir
dans cet endroit, où nous pourrions trouver des pâturages pour la vache qui était restée
sur le navire.
«Un moment! un moment! m'écriai-je, tant il avait mis de vivacité dans son discours;
chaque chose aura son temps; dis-nous d'abord si tu as trouvé quelque trace de nos
malheureux compagnons.
--Pas une seule, ni sur terre, ni sur mer; en revanche, j'ai découvert, sautillant à travers les
champs, une légion d'animaux semblables à celui-ci; et j'aurais volontiers essayé de les
prendre vivants, tant ils paraissaient peu effarouchés, si je n'avais pas craint de perdre une
si belle proie.»
Ernest, qui pendant ce temps avait examiné attentivement l'animal, déclara que c'était un
agouti, et je confirmai son assertion. «Cet animal, dis-je, est originaire d'Amérique; il vit
dans des terriers et sous les racines des arbres; c'est, dit-on, un excellent manger.» Jack
s'occupait à ouvrir une huître à l'aide d'un couteau; mais malgré tous ses efforts il n'y

pouvait parvenir; je lui indiquai un moyen bien simple: c'était de mettre les huîtres sur
des charbons ardents. Dès qu'elles eurent senti la chaleur, elles s'ouvrirent, en effet,
d'elles-mêmes, et nous eûmes ainsi bientôt chacun une cuiller, quand après bien des
façons mes enfants se furent décidés à avaler l'huître, qu'ils trouvèrent du reste détestable.
Ils se hâtèrent de tremper leurs écailles dans la soupe; mais tous se brûlèrent les doigts et
se mirent à crier. Ernest seul, tirant de sa poche son coquillage, qui était aussi grand
qu'une assiette, le remplit en partie sans se brûler, et se mit à l'écart pour laisser froidir
son bouillon.
Je le laissai d'abord faire; mais quand il se disposa à manger: «Puisque tu n'as pensé qu'à
toi, lui dis-je, tu vas donner cette portion à nos fidèles chiens, et tu te contenteras de celle
que nous pouvons avoir nous-mêmes.» Le reproche fit effet, et Ernest déposa aussitôt son
assiette devant les dogues, qui l'eurent bientôt vidée. Mais ils étaient loin d'être rassasiés,
et nous nous en aperçûmes en les voyant déchirer à belles dents l'agouti de Fritz. Celui-ci
se leva aussitôt furieux, saisit son fusil et en frappa les deux chiens avec une telle rage,
qu'il faussa le canon; puis il les poursuivit à coups de pierres jusqu'à ce qu'ils eussent
disparu en poussant des hurlements affreux.
Je m'élançai après lui, et, lorsque sa colère fut apaisée, je lui représentai le chagrin qu'il
m'avait fait, ainsi qu'à sa mère, la perte
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