j'écoutais avec plaisir cette musique étrange, en pensant que
ces infortunés musiciens pourraient au besoin fournir à notre subsistance sur cette terre
déserte. Notre premier soin en abordant fut de remercier Dieu à genoux de nous y avoir
conduits sains et saufs.
Nous nous occupâmes ensuite de construire une tente, à l'aide de pieux plantés en terre et
du morceau de voile que nous avions apporté.
Cette construction, bordée, comme défense, des caisses qui contenaient nos provisions,
était adossée à un rocher. Puis je recommandai à mes fils de réunir le plus de mousse et
d'herbes sèches qu'ils pourraient trouver, afin que nous ne fussions pas obligés de coucher
sur la terre nue, pendant que je construisais un foyer près de là avec des pierres plates que
me fournit un ruisseau peu éloigné; et je vis bientôt s'élever vers le ciel une flamme
brillante. Ma femme, aidée de son petit Franz, posa dessus une marmite pleine d'eau,
dans laquelle elle avait mis quelques tablettes de bouillon, et prépara ainsi notre repas.
Franz avait d'abord pris ces tablettes pour de la colle, et en avait fait naïvement
l'observation; mais sa mère le détrompa bientôt, et lui apprit que ces tablettes provenaient
de viandes réduites en gelée à force de cuisson, et qu'on en portait ainsi dans les voyages
au long cours, afin d'avoir toujours du bouillon, qu'on n'aurait pu se procurer avec de la
viande salée.
Cependant, la mousse recueillie, Fritz avait chargé un fusil et s'était éloigné en suivant le
ruisseau; Ernest s'était dirigé vers la mer, et Jack, vers les rochers de la gauche pour y
recueillir des moules. Quant à moi, je m'efforçai d'amener à terre les deux tonneaux que
nous avions harponnés dans la traversée. Tandis que j'employais inutilement toutes mes
forces à ce travail, j'entendis soudain Jack pousser un grand cri; je saisis une hache, et
courus aussitôt à son secours. En arrivant près de lui, je vis qu'il était dans l'eau jusqu'à
mi-jambes, et qu'il essayait de se débarrasser d'un gros homard qui avait saisi ses jambes
avec ses pinces. Je sautai dans l'eau à mon tour. L'animal, effrayé, voulut s'enfuir, mais ce
n'était pas mon compte; d'un coup de revers de ma hache je l'étourdis, et je le jetai sur le
rivage.
Jack, tout glorieux de cette capture, s'empressa aussitôt de s'en emparer pour la porter à sa
mère; mais l'animal, qui n'était qu'étourdi, en se sentant saisir, lui donna un si terrible
coup de queue dans le visage, que le pauvre enfant le rejeta bien vite et se mit à pleurer.
Tandis que je riais beaucoup de sa petite mésaventure, le bambin furieux ramassa une
grosse pierre, et, la lançant de toutes ses forces contre l'animal, lui écrasa la tête. Je
reprochai à mon fils de tuer ainsi un ennemi à terre, et je lui représentai que, s'il eût été
plus prudent, et n'eût pas tenu la tête si près de son nez, cela ne lui serait point arrivé.
Jack, confus, et pour éviter mes reproches, ramassa de nouveau le homard et se mit à
courir vers sa mère en criant: «Maman, un crabe! Ernest, un crabe! Où est Fritz? Prends
garde, Franz, ça mord.»
Tous mes enfants se rassemblèrent autour de lui et regardèrent avec étonnement la
grosseur de cet animal, en écoutant les fanfaronnades de Jack. Quant à moi, je retournai à
l'occupation qu'il m'avait fait quitter.
Quand je revins, je félicitai mon fils de ce que le premier il avait fait une découverte qui
pouvait nous être utile, et pour le récompenser je lui abandonnai une patte tout entière du
homard.
«Oh! s'écria alors Ernest, j'ai bien découvert aussi quelque chose de bon à manger; mais
je ne l'ai pas apporté, parce qu'il aurait fallu me mouiller pour le prendre.
--Oh! je sais ce que c'est, dit dédaigneusement Jack: ce sont des moules, dont je ne
voudrais pas seulement manger; j'aime bien mieux mon homard.
--Ce sont plutôt des huîtres, répondit Ernest, si j'en juge par le degré de profondeur où
elles se trouvent.
--Eh bien donc, m'écriai-je alors, monsieur le philosophe, allez nous en chercher un plat
pour notre dîner; dans notre position il ne faut reculer devant rien de ce qui est utile. Ne
vois-tu pas d'ailleurs, continuai-je d'un ton plus doux, que le soleil nous a bientôt séchés,
ton frère et moi?
--Je rapporterai aussi du sel, reprit Ernest en se levant, car j'en ai découvert dans les
fentes des rochers. Ce sont sans doute les eaux de la mer qui l'ont déposé là, n'est-ce pas,
mon père?
--Éternel raisonneur, lui répondis-je, tu devrais nous en avoir déjà donné un plein sac, au
lieu de t'amuser à disserter sur son origine. Hâte-toi donc, si tu ne veux pas que nous
mangions une soupe fade et sans goût.»
Ernest

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