Le robinson suisse | Page 6

Johann David Wyss
avec des pierres plates que me fournit un ruisseau peu éloigné; et je vis bient?t s'élever vers le ciel une flamme brillante. Ma femme, aidée de son petit Franz, posa dessus une marmite pleine d'eau, dans laquelle elle avait mis quelques tablettes de bouillon, et prépara ainsi notre repas.
Franz avait d'abord pris ces tablettes pour de la colle, et en avait fait na?vement l'observation; mais sa mère le détrompa bient?t, et lui apprit que ces tablettes provenaient de viandes réduites en gelée à force de cuisson, et qu'on en portait ainsi dans les voyages au long cours, afin d'avoir toujours du bouillon, qu'on n'aurait pu se procurer avec de la viande salée.
Cependant, la mousse recueillie, Fritz avait chargé un fusil et s'était éloigné en suivant le ruisseau; Ernest s'était dirigé vers la mer, et Jack, vers les rochers de la gauche pour y recueillir des moules. Quant à moi, je m'effor?ai d'amener à terre les deux tonneaux que nous avions harponnés dans la traversée. Tandis que j'employais inutilement toutes mes forces à ce travail, j'entendis soudain Jack pousser un grand cri; je saisis une hache, et courus aussit?t à son secours. En arrivant près de lui, je vis qu'il était dans l'eau jusqu'à mi-jambes, et qu'il essayait de se débarrasser d'un gros homard qui avait saisi ses jambes avec ses pinces. Je sautai dans l'eau à mon tour. L'animal, effrayé, voulut s'enfuir, mais ce n'était pas mon compte; d'un coup de revers de ma hache je l'étourdis, et je le jetai sur le rivage.
Jack, tout glorieux de cette capture, s'empressa aussit?t de s'en emparer pour la porter à sa mère; mais l'animal, qui n'était qu'étourdi, en se sentant saisir, lui donna un si terrible coup de queue dans le visage, que le pauvre enfant le rejeta bien vite et se mit à pleurer. Tandis que je riais beaucoup de sa petite mésaventure, le bambin furieux ramassa une grosse pierre, et, la lan?ant de toutes ses forces contre l'animal, lui écrasa la tête. Je reprochai à mon fils de tuer ainsi un ennemi à terre, et je lui représentai que, s'il e?t été plus prudent, et n'e?t pas tenu la tête si près de son nez, cela ne lui serait point arrivé.
Jack, confus, et pour éviter mes reproches, ramassa de nouveau le homard et se mit à courir vers sa mère en criant: ?Maman, un crabe! Ernest, un crabe! Où est Fritz? Prends garde, Franz, ?a mord.?
Tous mes enfants se rassemblèrent autour de lui et regardèrent avec étonnement la grosseur de cet animal, en écoutant les fanfaronnades de Jack. Quant à moi, je retournai à l'occupation qu'il m'avait fait quitter.
Quand je revins, je félicitai mon fils de ce que le premier il avait fait une découverte qui pouvait nous être utile, et pour le récompenser je lui abandonnai une patte tout entière du homard.
?Oh! s'écria alors Ernest, j'ai bien découvert aussi quelque chose de bon à manger; mais je ne l'ai pas apporté, parce qu'il aurait fallu me mouiller pour le prendre.
--Oh! je sais ce que c'est, dit dédaigneusement Jack: ce sont des moules, dont je ne voudrais pas seulement manger; j'aime bien mieux mon homard.
--Ce sont plut?t des hu?tres, répondit Ernest, si j'en juge par le degré de profondeur où elles se trouvent.
--Eh bien donc, m'écriai-je alors, monsieur le philosophe, allez nous en chercher un plat pour notre d?ner; dans notre position il ne faut reculer devant rien de ce qui est utile. Ne vois-tu pas d'ailleurs, continuai-je d'un ton plus doux, que le soleil nous a bient?t séchés, ton frère et moi?
--Je rapporterai aussi du sel, reprit Ernest en se levant, car j'en ai découvert dans les fentes des rochers. Ce sont sans doute les eaux de la mer qui l'ont déposé là, n'est-ce pas, mon père?
--éternel raisonneur, lui répondis-je, tu devrais nous en avoir déjà donné un plein sac, au lieu de t'amuser à disserter sur son origine. Hate-toi donc, si tu ne veux pas que nous mangions une soupe fade et sans go?t.?
Ernest ne tarda pas à revenir; mais le sel qu'il apportait était mêlé de terre, et nous allions le jeter, lorsque ma femme eut l'idée de le faire fondre dans l'eau, et de passer cette eau dans un linge avant de la mêler dans la soupe.
Tandis que j'expliquais à notre étourdi de Jack, qui m'avait demandé pourquoi nous n'avions pas pris simplement de l'eau de mer, que cette eau n'aurait pu nous servir parce qu'elle contient d'autres matières d'un go?t désagréable, ma femme acheva la soupe et nous annon?a qu'elle était bonne à manger.
?Un moment, lui dis-je, nous attendons Fritz; et d'ailleurs, comment nous y prendre pour la manger? Tu ne veux sans doute pas que nous portions tour à tour à notre bouche ce chaudron lourd et br?lant!
--Si nous avions des noix de coco,
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