avec le marteau, la scie, la hache et tous les instruments dont nous pouvions disposer, à les couper en deux, et je ne m'arrêtai que quand nous e?mes obtenu huit cuves de grandeur à peu près égale. Nous les regardions avec orgueil; ma femme seule ne partageait pas notre enthousiasme.
?Jamais, dit-elle, je ne consentirai à monter là dedans pour me risquer sur l'eau.
--Ne sois pas si prompte, chère femme, lui dis-je, et attends, pour juger mon ouvrage, qu'il soit achevé.?
Je pris alors une planche longue et flexible, sur laquelle j'assujettis mes huit cuves; deux autres planches furent jointes à la première, et, après des fatigues inou?es, je parvins à obtenir une sorte de bateau étroit et divisé en huit compartiments, dont la quille était formée par le simple prolongement des planches qui avaient servi à lier les cuves entre elles. J'avais ainsi une embarcation capable de nous porter sur une mer tranquille et pour une courte traversée; mais cette construction, toute frêle qu'elle était, se trouvait encore d'un poids trop au-dessus de nos forces pour que nous pussions la mettre à flot. Je demandai alors un cric, et, Fritz en ayant trouvé un, je l'appliquai à une des extrémités de mon canot, que je commen?ai à soulever, tandis que mes fils glissaient des rouleaux par-dessous. Mes enfants, Ernest surtout, étaient dans l'admiration en voyant les effets puissants de cette simple machine, dont je leur expliquai le mécanisme sans discontinuer mon ouvrage. Jack, l'étourdi, remarqua pourtant que le cric allait bien lentement.
?Mieux vaut lentement que pas du tout,? répondis-je.
Notre embarcation toucha enfin le bord et descendit dans l'eau, retenue près du navire par des cables; mais elle tourna soudain et pencha tellement de c?té que pas un de nous ne fut assez hardi pour y descendre.
Je me désespérais, quand il me vint à l'esprit que le lest seul manquait; je me hatai de jeter au fond des cuves tous les objets pesants que le hasard pla?a sous ma main, et, peu à peu, en effet, le bateau se redressa et se maintint en équilibre. Mes fils alors poussèrent des cris de joie, et se disputèrent à qui descendrait le premier. Craignant que leurs mouvements ne vinssent à déplacer le lest qui maintenait le radeau, je voulus y suppléer en établissant aux deux extrémités un balancier pareil à celui que je me souvenais d'avoir vu employer par quelques peuplades sauvages; je choisis à cet effet deux morceaux de vergue assez longs; je les fixai par une cheville de bois, l'un à l'avant, l'autre à l'arrière du bateau, et aux deux extrémités j'attachai deux tonnes vides qui devaient naturellement se faire contre-poids.
Il ne restait plus qu'à sortir des débris et à rendre le passage libre. Des coups de hache donnés à propos à droite et à gauche eurent bient?t fait l'affaire. Mais le jour s'était écoulé au milieu de nos travaux, et il était maintenant impossible de pouvoir gagner la terre avant la nuit. Nous résol?mes donc de rester encore jusqu'au lendemain sur le navire, et nous nous m?mes à table avec d'autant plus de plaisir, qu'occupés de notre important travail, nous avions à peine pris dans toute la journée un verre de vin et un morceau de biscuit. Avant de nous livrer au sommeil, je recommandai à mes enfants de s'attacher leurs corsets natatoires, pour le cas où le navire viendrait à sombrer, et je conseillai à ma femme de prendre les mêmes précautions. Nous go?tames ensuite un repos bien mérité par le travail de la journée.
CHAPITRE II
Chargement du radeau.--Personnel de la famille.--Débarquement--Premières dispositions.--Le homard.--Le sel.--Excursions de Fritz.--L'agouti.--La nuit à terre.
Aux premiers rayons du jour nous étions debout. Après avoir fait faire à ma famille la prière du matin, je recommandai qu'on donnat aux animaux qui étaient sur le vaisseau de la nourriture pour plusieurs jours.
?Peut-être, disais-je, nous sera-t-il permis de les venir prendre.?
J'avais résolu de placer, pour ce premier voyage, sur notre petit navire, un baril de poudre, trois fusils, trois carabines, des balles et du plomb autant qu'il nous serait possible d'en emporter, deux paires de pistolets de poche, deux autres paires plus grandes, et enfin un moule a balles. Ma femme et chacun de mes fils devaient en outre être munis d'une gibecière bien garnie. Je pris encore une caisse pleine de tablettes de bouillon, une de biscuit, une marmite en fer, une ligne à pécher, une caisse de clous, une autre remplie d'outils, de marteaux, de scies, de pinces, de haches, etc., et un large morceau de toile à voile que nous destinions à faire une tente.
Nous avions apporté beaucoup d'autres objets; mais il nous fut impossible de les charger, bien que nous eussions remplacé par des choses utiles le lest que j'avais mis la veille dans le bateau. Après avoir invoqué le nom du Seigneur, nous nous
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