Le robinson suisse | Page 3

Johann David Wyss
Dieu peut nous empêcher de périr s'il le veut; autrement soumettons-nous à sa volonté; car nous nous reverrons dans le ciel, où nous ne serons plus jamais séparés.?
Cependant ma courageuse femme essuyait une larme, et, plus tranquille que les enfants, qui se pressaient autour d'elle, elle s'effor?ait de les rassurer, tandis que mon coeur, à moi, se brisait à l'idée du danger qui mena?ait ces êtres bien-aimés. Nous tombames enfin tous à genoux, et les paroles échappées à mes enfants me prouvèrent qu'ils savaient aussi prier, et puiser le courage dans leurs prières. Je remarquai que Fritz demandait au Seigneur de sauver les jours de ses chers parents et de ses frères, sans parler de lui-même.
Cette occupation nous fit oublier pendant quelque temps le danger qui nous mena?ait, et je sentis mon coeur se rassurer un peu à la vue de toutes ces petites têtes religieusement inclinées. Soudain nous entend?mes, au milieu du bruit des vagues, une voix crier: ?Terre! terre!? et au même instant nous éprouvames un choc si violent, que nous en f?mes tous renversés, et que nous cr?mes le navire en pièces; un craquement se fit entendre; nous avions touché. Aussit?t une voix que je reconnus pour celle du capitaine cria: ?Nous sommes perdus! Mettez les chaloupes en mer!? Mon coeur frémit à ces funestes mots: Nous sommes perdus! Je résolus cependant de monter sur le pont, pour voir si nous n'avions plus rien à espérer. à peine y mettais-je le pied qu'une énorme vague le balaya et me renversa sans connaissance contre le mat. Lorsque je revins à moi, je vis le dernier de nos matelots sauter dans la chaloupe, et les embarcations les plus légères, pleines de monde, s'éloigner du navire. Je criai, je les suppliai de me recevoir, moi et les miens.... Le mugissement de la tempête les empêcha d'entendre ma voix, ou la fureur des vagues de venir nous chercher. Au milieu de mon désespoir, je remarquai cependant avec un sentiment de bonheur que l'eau ne pouvait atteindre jusqu'à la cabine que mes bien-aimés occupaient au-dessous de la chambre du capitaine; et, en regardant bien attentivement vers le S., je crus apercevoir par intervalles une terre qui, malgré son aspect sauvage, devint l'objet de tous mes voeux.
Je me hatai donc de retourner vers ma famille; et, affectant un air de sécurité, j'annon?ai que l'eau ne pouvait nous atteindre, et qu'au jour nous trouverions sans doute un moyen de gagner la terre. Cette nouvelle fut pour mes enfants un baume consolateur, et ils se tranquillisèrent bien vite. Ma femme, plus habituée à pénétrer ma pensée, ne prit pas le change; un signe de ma part lui avait fait comprendre notre abandon. Mais je sentis mon courage rena?tre en voyant que sa confiance en Dieu n'était point ébranlée; elle nous engagea à prendre quelque nourriture. Nous y consent?mes volontiers; et après ce petit repas les enfants s'endormirent, excepté Fritz, qui vint à moi et me dit: ?J'ai pensé, mon père, que nous devrions faire, pour ma mère et mes frères, des corsets natatoires qui pussent les soutenir sur l'eau, et dont vous et moi n'avons nul besoin, car nous pouvons nager aisément jusqu'à la c?te.? J'approuvai cette idée, et résolus de la mettre à profit. Nous cherchames partout dans la chambre de petits barils et des vases capables de soutenir le corps d'un homme. Nous les attachames ensuite solidement deux à deux, et nous les passames sous les bras de chacun de nous; puis nous étant munis de couteaux, de ficelles, de briquets et d'autres ustensiles de première nécessité, nous passames le reste de la nuit dans l'angoisse, craignant de voir le vaisseau s'entr'ouvrir à chaque instant. Fritz, cependant, s'endormit épuisé de fatigue.
L'aurore vint enfin nous rassurer un peu, en ramenant le calme sur les flots; je consolai mes enfants, épouvantés de leur abandon, et je les engageai à se mettre à la besogne pour tacher de se sauver eux-mêmes. Nous nous dispersames alors dans le navire pour chercher ce que nous trouverions de plus utile. Fritz apporta deux fusils, de la poudre, du plomb et des balles; Ernest, des clous, des tenailles et des outils de charpentier; le petit Franz, une ligne et des hame?ons. Je les félicitai tous trois de leur découverte.? Mais, dis-je à Jack, qui m'avait amené deux énormes dogues, quant à toi, que veux-tu que nous fassions de ta trouvaille?
--Bon, répondit-il, nous les ferons chasser quand nous serons à terre.
--Et comment y aller, petit étourdi? lui dis-je.
--Comment aller à terre? Dans des cuves, comme je le faisais sur l'étang à notre campagne.?
Cette idée fut pour moi un trait de lumière, je descendis dans la cale où j'avais vu des tonneaux; et, avec l'aide de mes fils, je les amenai sur le pont, quoiqu'ils fussent à demi submergés. Alors nous commen?ames
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