Le retour de lexilé | Page 5

Louis Frechette
pas une ingrate. Elle a maintenant dix-neuf ans; c'est l'age ou jamais de prendre la vie au sérieux, d'apprécier les positions, les caractères, de reconna?tre les bienfaits et les affection véritables.
JOLIN--Sans doute, sans doute. (à Blanche.) N'est-ce pas, Blanche, que vous vous montrerez toujours digne des soins que l'on a pour vous?
BLANCHE--Je l'espère, monsieur.
JOLIN--Charmante enfant!... Mais pourquoi ne pas m'appeler votre ami, ma fille?... Pourquoi ce titre de monsieur si banal et si froid? Allons, venez m'embrasser, petite mauvaise.
Mme SAINT-VALLIER--Allons, Blanche, n'as-tu pas entendu? Va dire bonsoir à notre cher protecteur.
JOLIN, après l'avoir embrassée au front, et la retenant par la main--Adorable enfant! que ne ferait-on pas pour être aimé d'elle!
BLANCHE, faisant des efforts pour s'échapper--Laissez-moi, monsieur!... ? mon Dieu! (Elle détourne la tête et se met à pleurer.)
JOLIN--Encore des larmes! (La retenant par les deux mains.) Voyons, mon enfant, seriez-vous vraiment malheureuse dans cette maison? Que vous manque-t-il? êtes-vous lasse de la solitude? Voulez-vous voir le monde? J'appellerai ici toute la société de Québec. Voulez-vous de belles toilettes, des bijoux? Parlez! Dites! Que désirez-vous?
BLANCHE, sanglotant--Rien, monsieur. (Elle s'échappe des mains de Jolin.)
Mme SAINT-VALLIER--Peut-on répondre ainsi à des procédés si généreux! Se montrer ingrate à ce point envers un bienfaiteur, un ange...
JOLIN--Non, non, ma bonne amie, ne parlons point de cela; ni elle ni vous ne me devez rien. La satisfaction de ma conscience est la seule récompense que je cherche en faisant le bien.
BLANCHE--Monsieur Jolin, et vous ma mère, ne m'accusez pas d'ingratitude; je serai pleine de reconnaissance pour un bienfaiteur, pour un ami, mais je ne puis, je ne dois rien accepter à un autre titre.
JOLIN--Et pourquoi pas, mon enfant? Dieu m'est témoin de la pureté de mes intentions. Je n'ai que votre bonheur en vue. Je suis vieux; je voudrais avant de mourir vous assurer, ainsi qu'à votre mère, une fortune acquise au prix de bien des sueurs. Ce projet e?t coupé court à toute malveillante interprétation; et j'aurais eu, en mourant, la consolation de vous avoir assuré un sort heureux et enviable...
Mme SAINT-VALLIER--Y a-t-il un pareil ange de bonté? Monsieur Jolin, quand vous mourrez, votre place est au ciel. Vous êtes un saint! Et toi, petite sotte, qui restes insensible à tant de vertus, tu n'as pas de coeur.
BLANCHE--Ma mère, je voudrais vous obéir, mais vous le savez, des engagements sacrés...
Mme SAINT-VALLIER--Oui, un méchant barbouilleur de papier qui n'a pas le sou.
BLANCHE--Maman, vous savez que je l'aime!
Mme SAINT-VALLIER--Elle l'aime, elle l'aime! Tiens, Blanche, ne me parle plus de lui. Ce mariage ne se fera jamais tant que j'existerai!...
JOLIN--Allons, calmez-vous, ma chère amie. La jolie Blanche n'est pas encore majeure; elle ne peut se soustraire à votre autorité. Je sais bien qu'elle a fait mettre à la poste une lettre adressée à un certain M. Adrien Launière, à Montréal, et que ce M. Adrien Launière est venu s'établir en bas, chez Cayou, et qu'il vient r?der souvent dans les environs du Domaine... mais...
BLANCHE--Il est ici! ? mon Dieu, merci! il m'aime toujours!
JOLIN--Oh! ne remerciez pas Dieu pour si peu. On attrape des coups de fusil au jeu qu'il joue-là. Mme Saint-Vallier ne se laissera pas prendre aux ruses d'une petite fille, j'espère.
Mme SAINT-VALLIER--Moi! J'aimerais mieux la faire murer dans un cachot, que de la voir échanger une seule parole avec ce freluquet.
JOLIN--Et moi, je veillerai de mon c?té, et Thibeault avec son fusil veillera de l'autre. Puisque tous les moyens de douceur échouent, nous en essaierons d'autres.
Mme SAINT-VALLIER--Je vous aiderai, je vous aiderai, mon ami.
BLANCHE--Malheureuse que je suis, je n'aurai donc personne pour me protéger. (On sonne.)
JOLIN, tressaillant, à part--Qui peut venir à pareille heure? Tout le monde conna?t les habitudes de la maison... On sait que je ne re?ois personne le soir... Qui diable ce peut-il être?... A moins que ce ne soit... Enfer! je suis un imbécile, la moindre chose m'épouvante (On sonne de nouveau.) Diable, diable!... On y met de l'impatience; c'est sérieux alors; prenons garde, prenons garde!... (à Mme Saint-Vallier, avec beaucoup d'agitation.) Ma chère amie, retenez-les un moment, pendant que je vais mettre mes livres en s?reté. Dites que je reviens à l'instant. (Il empile ses livres sous un bras pour sortir; Thibeault entre.)
SCèNE II
LES PRéCéDENTS, THIBEAULT.
JOLIN--Thibeault!
THIBEAULT--De quoi?
JOLIN--Qui est là?
THIBEAULT--Un homme.
JOLIN--Rien qu'un?
THIBEAULT--Oui.
JOLIN--Tu ne le connais pas?
THIBEAULT--Non.
JOLIN--De quoi a-t-il l'air?
THIBEAULT--Il a l'air de rien.
JOLIN--A-t-il l'air d'un... (Pantomime)
THIBEAULT--Je vous dis qu'il a l'air de rien.
JOLIN--Qu'est-ce qu'il veut?
THIBEAULT--Il veut rentrer.
JOLIN--A-t-il dit son nom?
THIBEAULT--Oui, mais j'cré ben qu'il a voulu s'moquer de moué.
JOLIN--Comment s'appelle-t-il?
THIBEAULT--Ben, y m'a dit d'vous dire qu'y s'appelait la tempête... non... la bourrasque.
JOLIN--Hein!... (il laisse tomber ses registres.) Qu'est-ce que tu dis-là, brute? (On sonne de nouveau.)
THIBEAULT--Le v'là qui s'impatiente... épi il a pas l'air endurant. J'vas-t-y ouvrir?
JOLIN--Attends, attends! Mon Dieu, que faire?... (à part.) Si c'était lui!... Cette nouvelle de sa mort n'a jamais été certaine... Si c'est lui je suis perdu.
THIBEAULT--Eh
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