y a huit jours, je re?us une lettre de Blanche m'annon?ant qu'elle était en proie à des persécutions odieuses. Sa mère veut lui faire épouser son soi-disant protecteur, et sa résistance l'expose à d'indignes traitements. Elle n'est ni plus ni moins que prisonnière. Je suis accouru immédiatement; mais depuis huit jours que je suis ici, je n'ai pu réussir à me mettre en communication avec elle...
AUGUSTE--Vous me contez-là une jolie histoire! Allah kerim! voyons, mon gar?on, on m'a dit que vous étiez homme de loi, vous devez savoir par conséquent qu'il y a dans les statuts anglais quelque chose qui s'appelle writ d'habeas corpus; et veramente! si, comme vous le dites, cette demoiselle est retenue contre sa volonté...
ADRIEN--Vous ne m'avez pas compris, monsieur; la contrainte où vit Blanche est surtout une contrainte morale. Elle m'aime, je le sais; mais s'il lui fallait quitter sa mère...
AUGUSTE--Alors pourquoi vous a-t-elle appelé? Par il diavolo! les amoureux ont d'étranges idées! A votre place, savez-vous ce que je ferais? J'irais trouver Jolin, et je lui demanderais une explication franche et précise en présence de ces dames.
ADRIEN--Je ne l'obtiendrais pas; et Jolin, prenant l'alarme à ma vue, redoublerait de rigueur envers cette malheureuse enfant. Et, monsieur, s'il faut vous avouer la vérité, quelques mots de la lettre de Blanche me font craindre que l'on n'ait l'intention d'exercer sur elle d'indignes violences...
AUGUSTE--Allons donc, sa mère n'est-elle pas là?
ADRIEN--Mme Saint-Vallier a un esprit borné et opiniatre... monsieur. Et ce Jolin est si profondément corrompu!
AUGUSTE--Vous semblez ne pas avoir une très bonne opinion de ce pauvre Jolin.
ADRIEN, baissant la voix--Ah! là bas, à l'auberge, on n'a pas osé vous dire la vérité, tant il inspire de terreur. Ici tout le monde tremble au nom de Jolin!
AUGUSTE--Diable! Et sur quoi se base cette belle réputation?
ADRIEN--Sur des bruits vagues, je l'avoue, mais qui ont certainement leur origine dans la réalité. D'abord on n'a jamais su d'où lui venait sa fortune; et puis ont dit (Baissant la voix.) qu'il est associé avec la bande de malfaiteurs qui désole les environs. Enfin, malgré son age, Jolin passe pour un homme profondément immoral, qui a d?, à force d'argent, étouffer certaines affaires scandaleuses de la nature la plus grave. Jugez de mon désespoir en sachant la femme que j'aime au pouvoir d'un pareil homme.
AUGUSTE, après avoir fait quelques pas--La lutte sera rude; n'importe, nous lutterons... Enfin, jeune homme, en deux mots, qu'attendez-vous de moi?
ADRIEN--Oh! bien peu de chose, monsieur; consentez seulement à remettre cette lettre à Mlle Saint-Vallier.
AUGUSTE--Mais à quoi cela vous servira-t-il?
ADRIEN--à l'instruire de mon arrivée d'abord...
AUGUSTE--Et en définitive à tenter quelque démarche imprudente qui gaterait encore vos affaires. Cette lettre est inutile, jeune homme. écoutez; mon arrivée va singulièrement occuper Jolin, et il ne songera pas de sit?t aux amourettes. Fiez-vous à moi pour le reste. Vous m'avez raconté vos chagrins; laissez-moi maintenant vous servir à ma manière. Je ne vous le cache pas; Je suis dans un moment de crise. Demain je puis être au sommet de la roue de fortune; peut-être serai-je aussi misérable qu'aujourd'hui... moins l'espérance. Vous courrez ma chance. En attendant, ne me demandez aucun engagement que je serais peut-être embarrassé de tenir. J'ai besoin de ma liberté d'action. Bona sera!...
ADRIEN--Au moins, permettez-moi...
AUGUSTE--Au diable! (Il sort.)
SCèNE IV
ADRIEN, seul.
ADRIEN--Allons, je l'ai mécontenté. Quel homme étrange! Malgré ses manières brusques, il y a en lui quelque chose qui m'inspire je ne sais quelle confiance. Mais n'ai-je pas eu tort de lui ouvrir mon coeur? S'il allait me trahir!... mais non, c'est impossible; l'intérêt qu'il m'a témoigné était sincère. Cependant je m'applaudis de ne pas lui avoir révélé mon projet, comme j'en ai eu un moment la pensée. Et ce projet, pourquoi ne l'accomplirais-je pas cette nuit même? L'arrivée de ce voyageur va occuper Jolin et ces gens... Allons, oui; prenons ce chemin détourné. Je ne trouverai peut-être jamais une occasion aussi favorable! (Il sort.)
(La toile tombe.)
ACTE II
TROISIèME TABLEAU
LE TOIT PATERNEL
(Le théatre représente une pièce élégamment meublée. Au lever du rideau, Jolin est assis près d'une table, occupé à feuilleter des livres de comptes. Mme Saint-Vallier est assise en face et fait quelque travail de broderie. Blanche est au piano, fredonnant négligemment quelques lambeaux de romance; et, même après que la conversation est commencée, elle continue à plaquer des accords par-ci par-là. Une lampe éclaire la pièce.)
SCèNE I
JOLIN, Mme SAINT-VALLIER, BLANCHE.
JOLIN--Quelle jolie voix elle a, cette aimable Blanche! Vous avez admirablement cultivé votre fille, madame Saint-Vallier.
Mme SAINT-VALLIER--Elle ne manque pas de talent en effet, cher monsieur Jolin. Mais, vous savez, la jeunesse, ?a n'a pas toujours la tête solide. Blanche, chante donc à M. Jolin la romance qu'il aime, tant Les quatre ages du coeur, tu sais...
BLANCHE--Je ne suis pas en voix, maman.
JOLIN--J'espère que Blanche sera toujours reconnaissante, raisonnable, et docile à vos instructions..
Mme SAINT-VALLIER--Certainement cher monsieur; Blanche ne sera
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