Le prince corsaire | Page 6

Paul Scarron
heureux ou malheureux,
C'est
comme doit agir un Amant genereux,
J'ayme Elise, & mon ame à ses

fers asservie,
N'en sortira jamais qu'en sortant de la vie,
Et toute
autre beauté par des Sceptres offers,
La tenteroit en vain de sortir de
ses fers,
Pourrois-je donc, Seigneur, espousant Alcionne,
A sa soeur
que j'adore oster une Couronne?
Quand vous l'ordonneriez, vous
devrois-je obeïr;
Tout d'un temps, puïs-je aymer Elise, & la trahir?

Ha! que l'ambition ne nous fasse rien faire,
Dont nous puissions
rougir, qui luy puisse déplaire
N'exigez rien d'un fils, qu'il doive
refuser,
Et dont un Pere un jour le puisse mépriser.
NICANOR.
Et de ton Pere aussi ne trompe pas l'attente,
Mais quel homme
inconnu sans ordre se presente?
SCENE SECONDE.
SEBASTE, ELISE, NICANOR, ALCIONNE, AMINTAS.
SEBASTE parlant à Amintas.
Je vous cherchois Seigneur; en ces mots vous verrez,
Ce que veut
Orosmane, & vous luy répondrez.
NICANOR.
Et que peuvent avoir mon fils, & ce Corsaire,
A démesler ensemble?
SEBASTE.
Une importante affaire.
ELISE.
Amintas me regarde, & rougit, & paslit.
ALCIONNE.

Quelque chose le trouble en ce billet qu'il lit,
AMINTAS.
Ce billet est pour vous plus que pour moy, Madame,
Que de trouble
divers s'eslevent dans mon ame!
ELISE apres avoir leu.
Grands Dieux! & vous souffrez qu'un Pirate, un voleur,
Noircy déja
d'un crime à mon repos funeste,
Attaque mon honneur le seul bien qui
me reste;
Amintas, vous pourriez douter de ma vertu,
Si je ne
publiois ce que vous avez tû.
LETTRE.
En vain Prince Amintas tu brusle pour Elize,
Et tu veux devenir son
espoux, & son Roy:
Elle a depuis long-temps disposé de sa foy;

Depuis long-temps elle est esprise,
D'un Prince digne d'elle, & plus
heureux que toy.
Un Prince qui n'est plus, il est vray, m'a servie,
Il m'aymoit, je
l'aymois, & s'il estoit en vie,
Je l'aymerois encore; il seroit mon
Espoux,
Et je n'aurois jamais que des dédains pour vous,
La douleur
de sa mort m'avoit déterminée,
A ne vivre jamais sous les loix
d'himenée;
Je change de dessein; mais je me mets à prix,

D'Orosmane sans vie, ou d'Orosmane pris,
La teste criminelle à ma
fureur promise,
Vous laisse encor l'espoir d'un Royaume, & d'Elise,

Un tel present vous fait son époux, & son Roy,
Songez y Prince, ou
bien ne songez plus à moy.
AMINTAS.
Ne songer plus en vous? Hà que plustost ma vie,
Dans les fers du
Pirate à jamais asservie,
Asseure son salut, acheve mon malheur,
Et
que desesperé je meure de douleur,
Si le Ciel qui vous fit si

charmante, & si belle;
Mais aussi qui vous fit si fiere, & si cruelle,

Accordoit à mes voeux l'honneur de vous vanger,
Quand bien vostre
fierté constante à m'outrager,
Par d'injustes rigueurs troubleroit ma
victoire,
Tout ce qui vient de vous fait ma joye, & ma gloire.
Je
cheris tout en vous jusqu'à vostre fierté;
Je ne me plaindrois point
d'estre si mal traitté;
Et quand vous fausseriez la parolle promise,
Je
me plaindrois du Ciel sans me plaindre d'Elize.
ELISE.
Non, non Prince, esperez, puis que je le permets,
Vengez moy, je
tiendray tout ce que je promets,
Ce n'est pas je l'advouë, une basse
entreprise,
Que de vaincre Orosmane, & faire aymer Elise,
Vous
allez attaquer un prodige en valleur,
Heureux dans les combats, &
trop pour mon malheur
Mais quoy, que la victoire en soit presque
impossible,
Servez vous donc du temps tandis qu'il est pour vous,

Et que vous n'avez point encore de jaloux;
Car quand seul vous seriez
capable de me plaire,
Je ne me donneray qu'au vainqueur du Corsaire,

Je vous l'ay déja dit, sa prise ou son trespas,
Laissent tout esperer
au vaillant Amintas,
Allez donc, allez vaincre, & cependant mes
larmes,
Vont demander aux Dieux le bonheur de vos armes.
[Elle sort.]
AMINTAS.
Avec vostre secours qui me peut resister?
A quel hardy dessein ne me
puis-je porter?
Vous verrez abbatu l'orgueil qui vous outrage,
Et
vous me plaindrez mort ou loüerez mon courage,
SEBASTE.
Avant qu'avoir vaincu vous triomphez, Seigneur,
Je pardonne la
fougue à vostre jeune ardeur:
Mais si l'excez boüillant d'une amour
non commune,
Et le prix qu'un combat offre à vostre fortune,


Enflamme à tel point vostre coeur amoureux,
Qu'il ne peut differer ce
combat dangereux,
Celuy qu'on traitte icy de voleur, de Corsaire,
Et
qui se rend pourtant plus d'un Roy tributaire,
Ne sera pas long-temps
d'Amintas attendu,
Seul dans une chaloupe en vos bords descendu,

Il viendra contenter le desir qui vous presse,
Et vous pourrez ainsi
contenter la Princesse,
Donnez vostre parolle, & fiez vous en moy,

Que vous pourrez bien-tost vous battre avec mon Roy.
NICANOR.
Quoy! la Cypre verroit une telle aventure?
J'offenserois ainsi
l'honneur, & la nature,
J'exposerois un fils si vaillant & si cher,
Au
hazard d'un combat qu'on luy peut reprocher,
D'un combat, dont la fin
seroit tousiours honteuse,
Quand mesme sa valleur pourroit la rendre
heureuse;
Dans mille occasions que le temps peut donner,
Pour
obtenir Elize, & pour te couronner,
Tu trouveras assez dequoy te
satisfaire,
Sans aller te commettre avecque ce Corsaire.
AMINTAS.
Dira-t'on que vous seul ne m'ayez pas permis,
De vaincre le plus
grand de tous vos ennemis,
De meriter la Cipre, à ma valeur promise,

Et bien plus que la Cipre, une divine Elize,
Sans qui je ne puis
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