Le prince corsaire | Page 5

Paul Scarron
temeraire,

Sa qualité de Roy suspendit ma colere,

Je la sentis s'éteindre au lieu

de s'allumer,
Peut-on long temps haïr ce que l'on doit aymer;

L'union de deux coeurs dans le Ciel déja faitte,
Leur inspire à s'aymer
une pante secrette;
Elle previent leur choix, & tel est son pouvoir,

Que l'on s'ayme souvent avant que de se voir,
J'escoutay donc ma
soeur tout ce qu'il voulut dire,
Il m'apprit que l'amour le mit sous mon
Empire,
Sur mon simple portrait, sur le bruit de mon nom,
Que
vous diray-je encore; il obtint son pardon.
ALCIONNE.
L'orgueil qu'un sang illustre à nos ames inspire,
En vain malgré
l'amour veut garder son Empire,
Les soupirs d'un amant agreable à
nos yeux,
Triomphent tost ou tard d'un coeur imperieux,
Et selon
qu'un amant est capable de plaire,
Il se rend le destin favorable ou
contraire,
ELISE.
Ha ma soeur! ce n'est pas ce qui nous rend heureux,
La fortune peut
tout dans l'Empire amoureux,
Et souvent son caprice a fait des
miserables,
Des plus rares beautez des aimans plus aymables.
Que
le calme est à craindre aux plus heureux Amans!
Que leur sort est
sujet à de grands changemens!
Le Soleil a deux fois enrichy les
campagnes,
Et deux fois a fondu la neige des montagnes,
Depuis
qu'amour fait voir entre ce Prince, & moy,
Les plus rares effects d'une
constante foy,
Helas! dequoy nous sert d'avoir esté fidelles?
En
avons nous moins eu de traverses cruelles?
Un Prince que le Ciel
avoit fait si charmant,
Si constant à m'aymer, que j'aymay
constamment,
Par un indigne sort, sous une main barbare,
Tombe,
& me laisse aux maux que sa mort me prépare.
Ha! sa perte
m'apprend que la fidelité,
Est une vertu vaine, & sans utilité,
Mais il
est temps, ma soeur, d'aller où nous appelle
De nos propres sujets,
l'assemblée infidelle;
Allons voir Nicanor, d'un prétexte pieux

Deguiser les desseins d'un coeur ambitieux;
Et son fils Amintas qu'un

mesme esprit inspire,
Couvrir de son amour son dessein pour
l'Empire,
Mais leur ambition outre l'ordre du Roy,
Aura besoin
encore, & de vous, & de moy,
Si vous voulez ma soeur estre
d'intelligence,
Et comme moy contre-eux vous armer de constance,

Nous les obligerons ces Tyrans odieux,
De recourir au crime, &
d'offenser les Dieux,
Et peut-estre le Ciel qu'irrite le Coupable,

D'ennemy qu'il nous est, deviendra favorable.
Fin du premier Acte.
ACTE II.
SCENE PREMIERE.
NICANOR, ELISE, ALCIONNE, AMINTAS.
NICANOR.
Madame, je veux bien icy vous repeter,
Ce que dans le conseil je
viens de protester,
Que mon fils Amintas vous ayme, & vous adore,

Et qu'il mourra plustost du feu qui le devore,
Que de se prevaloir
des volontez du Roy,
Pour un bien qu'il n'attend que de sa seule foy.
ELISE.
Je vous l'ay déja dit, & je vous le repete,
J'ay du ressentiment de sa
flâme discrette,
Et c'est de tout mon coeur que je voudrois aymer,

Celuy dont la vertu ne peut trop s'estimer:
Mais j'atteste les Dieux que
je ne le puis faire,
Et s'il n'est point aymé, que c'est sans me déplaire.
NICANOR.
Cependant Orosmane à la coste paroist,
Vous sçavez ce qu'il peut,
hazardeux comme il est,
Entre un ennemy que la Cypre aprehende,

Que nous avons besoin d'un Roy qui la deffende,
Et vous sçavez aussi
que Pisandre en mourant....

ELISE.
Je sçay tout, & de plus, qu'il est indifferent,
De la quelle des soeurs,
d'Elise, ou d'Alcionne,
Vostre fils Amintas reçoive la couronne,
Ma
soeur peut comme moy couronner Amintas.
NICANOR.
Mais il n'aime que vous,
ELISE.
Mais je ne l'ayme pas.
NICANOR.
Amintas ne veut point de Sceptre sans Elize.
ALCIONNE.
Je veux encore moins d'Amintas qu'on mesprise.
ELISE. se tournant vers Alcionne.
Ha je l'ay refusé; mais sans le mespriser.
ALCIONNE.
Et sans mépris aussi je le puis refuser,
Je le separe assez des hommes
du vulgaire:
Je trouve assez en luy ce qui me pourroit plaire;

J'estime sa vertu; j'admire sa valleur:
Mais à vostre refus il m'offriroit
son coeur,
Et quoy que son amour puisse estre son excuse,
Je ne
puis accepter ce qu'un autre refuse,
NICANOR.
Vous pourrez entre vous terminer cés debats,
Mais mon fils doit
regner.

ELISE.
Et ne regne t'il pas,
Puis que vous dont il tient la vie, & la lumiere,

Avez sur cét Estat une puissance entiere?
Du moins tout sans reserve
y dependroit de vous,
Si vous pouviez aussi nous marier sans nous:

Mais à l'ordre du Roy qui du Sceptre dispose,
De grace examinons s'il
manque quelque chose,
L'intention du Roy (vous en serez d'accord)

Est que l'une de nous soit Reine apres sa mort,
Et s'il veut qu'Amintas
ait part en la Couronne,
C'est comme espoux d'Elise, ou celuy
d'Alcione:
Mais de l'aymer jamais mon coeur est esloigné;
Il
dédaigne ma soeur; il en est dédaigné,
Perdrons nous elle & moy pour
cette antipathie,
Cypre, que nos ayeux nous ont assujettie?
Et
pourra-t'il regner vostre fils Amintas,
Puisque ma soeur ny moy ne
l'espouserons pas?
NICANOR.
Mon fils peut succeder à Pisandre mon frere,
ELISE.
Ce frere fut son Roy; mais ce Roy fut mon Pere.
AMINTAS.
Puis-je parler Seigneur?
NICANOR.
Oüy parle; mais en Roy.
AMINTAS.
A ces divines soeur qui peuvent tout sur moy,
Comment puis-je
parler qu'en esclave fidelle,
Dont le moindre murmure en feroit un
rebelle?
Conserver son respect
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