Le prince corsaire | Page 4

Paul Scarron
en ce malheur extréme,
Et qui peut esperer de s'en voir soulagé,

A merité le mal dont il est affligé,
ALCIONNE.
He quoy ma chere soeur, avez vous quelque affaire,
Ou quelque
déplaisir que vous me deviez taire;

ELISE.
Ce jeune Cavalier, ce vaillant estranger,
Qui secouant mon Pere en un
mortel danger,
Dans ce fameux combat où d'un Prince rebelle,

Rhodes contre Pisandre entreprit la querelle,
Alcandre, Ha! ce beau
nom est tout ce qui de luy,
Peut-estre resteroit sur la terre aujourd'huy,

S'il [ne] vivoit encore en l'amoureuse idée,
Que pour ce cher amant
ma memoire a gardée,
ALCIONNE.
Et quoy le brave Alcandre?...
ELISE.
Est le Prince charmant,
Que mesme apres sa mort j'ayme si
tendrement,
Peut-estre blasmez vous ma foible resistance;
Mais si
jamais l'amour vous met sous sa puissance,
Si vous sçauez jamais ce
que c'est que d'aymer,
Vous me plaindrez ma soeur, au lieu de me
blasmer.
ALCIONNE.
Pour estre sans amour, on n'est pas sans tendresse,
Et je n'ay jamais
crû l'amour une foiblesse,
Mais ce vaillant Alcandre en Cypre
parvenu,
Jusqu'où peut s'eslever un merite connu,
Et puis que vous
l'aymiez d'une ardeur non commune,
Heureux dans son amour plus
que dans sa fortune,
Pourquoy s'esloigna-t'il? & s'il vous fut si cher,

L'avez vous dû souffrir?
ELISE.
J'eusse peu l'empescher;
Mais loin de m'opposer au voyage
d'Alcandre,
Mon seul commandement le luy fit entreprendre,
Vous
sçaurez les raisons de son esloignement,
Et de nos feux cachez le
triste évenement.

ALCIONNE.
Ne me differez pas cette faveur extrême,
ELISE.
Je ne refuse rien aux personnes que j'ayme.
Mon Alcandre estoit donc
un Prince malheureux,
Mais qui n'eut pas d'abord un destin rigoureux,

D'une illustre Princesse il receut la naissance,
Et monta sur le
Throsne au sortir de l'enfance,
Sa mere eut de l'amour pour un Prince
estranger,
Aymable; mais ingrat; infidelle, & leger,
Et dont elle se
vit depuis abandonnée,
Bien qu'unie avec luy par un saint himenée;

Mais qui peut s'asseurer d'un esprit inconstant?
Ce Prince abandonna
celle qui l'aymoit tant,
Et luy laissant un fils, cher; mais funeste gage,

Alla peut-estre ailleurs offrir son coeur volage.
Elle espera
long-temps de le voir de retour,
Que n'espere-t'on point, quand on
brusle d'amour?
Mais de son vain espoir enfin desabusée,
Et d'un
perfide espoux se voyant mesprisée,
Elle laissa tout faire à sa juste
douleur,
Et preste de finir sa vie, & son malheur,
Assembla ses
sujets, & leur fit reconnaistre,
Le Fils de son ingrat pour leur
souverain Maistre,
Elle meurt, & mourant cache mesme à son fils,

De son Pere inconstant le nom, & le païs,
Elle ne voulut pas qu'apres
sa foy faussée,
Un infidelle Espoux d'une Reine laissée,
Sçeust qu'il
en eust un fils; que ce fils fust un Roy,
Et qu'il fist gloire ainsi d'avoir
manqué de foy.
Son fils donc luy succede, & son adolescence,
Des
Rois les plus prudens égalle la prudence,
Il est brave, il est juste, & de
son peuple aymé;
Il est de ses voisins craint autant qu'estimé.
Mon
malheureux portrait le ravit, & l'enflâme,
Il me fait demander à mon
Pere pour femme,
Mon Pere le refuse, & mesme avec dédain,
Luy
mande sur le bruit de son Pere incertain,
Qu'on peut luy reprocher que
la Reine sa Mere,
Fut femme sans espoux, & qu'il est fils sans Pere,

Alcandre refusé; mais Alcandre amoureux,

Loin de se rebuter d'un
refus rigoureux,
Vint en Cypre où l'amour me fit bien-tost connoistre,

Le feu que dans son coeur ma beauté faisoit naistre,
Vous vouliez

tout sçavoir, & je vous ay tout dit.
ALCIONNE.
Je ne vous quitte pas d'un plus ample recit,
Je veux sçavoir comment
vous eustes connoissance,
Du secret important de sa haute naissance,

Mais ne seroit-ce point aigrir vostre douleur?
ELISE.
Un malheureux se plaist à conter son malheur,
Il m'aymoit donc ma
soeur, & ne me l'osoit dire?
Mais sa langueur enfin découvrit son
martyre,
Et les tristes soûpirs de son coeur enflâmé,
Le firent
soupçonner d'aymer sans estre aymé.
La pitié par l'estime est souvent
excitée,
De son mal dangereux la Cypre est attristée;
En luy l'Estat
perdoit un guerrier genereux,
Mon Pere luy devoit plus d'un combat
heureux,
Et la cour autrefois pleine de barbarie,
Devoit sa politesse
à sa galanterie;
Pour moy je luy devois des soins, & des respects,

Que sa condition ne rendoit point suspects,
La pitié de son mal dans
son mal m'interesse,
Je veux sçavoir le nom de sa fiere Maistresse;

Je le presse en secret de me le découvrir,
Si j'avois, me dit-il, quelque
espoir de guerir,
Vous ne sçauriez jamais que par la mort d'Alcandre

La cause de son mal que vous voulez apprendre,
Le malheureux
vous ayme; à ce mot eschappé,
Déja de vos beaux yeux les foudres
l'ont frappé,
Il voit d'un fier dédain s'armer vostre visage,
Et dans ce
fier dédain de sa mort le presage;
Mais ayant obeï si vous l'en haïssez,

Daignez connoistre au moins ce que vous punissez,
Il est Prince
Madame, & les Roys de sa race,
N'ont point mis dans son coeur sa
temeraire audace
Un feu respectueux, une immuable foy,
Font vivre
son espoir plus que le nom de Roy;
Mais si cét humble adveu de sa
flâme insensée,
Paroist un nouveau crime à vostre ame offensée,
Un
regard menaçant de vos yeux en courroux,
Le feront à l'instant
expirer devant vous,
Lors que j'allois punir ce discours
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