Le pays des fourrures | Page 7

Jules Verne
partie du domaine à laquelle la civilisation ne réservait aucun avenir. L'année suivante, la Compagnie perdait le versant ouest des Montagnes-Rocheuses qui releva directement du Colonial-Office, et fut ainsi soustrait à la juridiction des agents de la baie d'Hudson. Et voilà pourquoi, madame, avant de renoncer à son trafic des fourrures, la Compagnie va tenter l'exploitation de ces contrées du Nord, qui sont à peine connues, et chercher les moyens de les rattacher par le passage du Nord-Ouest avec l'océan Pacifique.?
Mrs. Pauline Barnett était maintenant édifiée sur les projets ultérieurs de la célèbre Compagnie. Elle allait assister de sa personne à l'établissement d'un nouveau fort sur la limite de la mer polaire. Le capitaine Craventy l'avait mise au courant de la situation; mais peut-être, -- car il aimait à parler, -- f?t-il entré dans de nouveaux détails, si un incident ne lui e?t coupé la parole.
En effet, le caporal Joliffe venait d'annoncer à haute voix que, Mrs Joliffe aidant, il allait procéder à la confection du punch. Cette nouvelle fut accueillie comme elle méritait de l'être. Quelques hurrahs éclatèrent. Le bol, -- c'était plut?t un bassin, -- le bol était rempli de la précieuse liqueur. Il ne contenait pas moins de dix pintes de brandevin. Au fond s'entassaient les morceaux de sucre, dosés par la main de Mrs. Joliffe. à la surface, surnageaient les tranches de citron, déjà racornies par la vieillesse. Il n'y avait plus qu'à enflammer ce lac alcoolique, et le caporal, la mèche allumée, attendait l'ordre de son capitaine, comme s'il se f?t agi de mettre le feu à une mine.
?Allez, Joliffe!? dit alors le capitaine Craventy.
La flamme fut communiquée à la liqueur, et le punch flamba, en un instant, aux applaudissements de tous les invités.
Dix minutes après, les verres remplis circulaient à travers la foule, et trouvaient toujours preneurs, comme des rentes dans un mouvement de hausse.
?Hurrah! hurrah! hurrah! pour mistress Paulina Barnett! Hurrah! pour le capitaine!?
Au moment où ces joyeux hurrahs retentissaient, des cris se firent entendre au dehors. Les invités se turent aussit?t.
?Sergent Long, dit le capitaine, voyez donc ce qui se passe!?
Et sur l'ordre de son chef, le sergent, laissant son verre inachevé, quitta le salon.

III.
Un savant dégelé.
Le sergent Long, arrivé dans l'étroit couloir sur lequel s'ouvrait la porte extérieure du fort, entendit les cris redoubler. On heurtait violemment à la poterne qui donnait accès dans la cour, protégée par de hautes murailles de bois. Le sergent poussa la porte. Un pied de neige couvrait le sol. Le sergent, s'enfon?ant jusqu'aux genoux dans cette masse blanche, aveuglé par la rafale, piqué jusqu'au sang par ce froid terrible, traversa la cour en biais et se dirigea vers la poterne.
?Qui diable peut venir par un temps pareil! se disait le sergent Long, en ?tant méthodiquement, on pourrait dire ?disciplinairement?, les lourds barreaux de la porte. Il n'y a que des Esquimaux qui osent se risquer par un tel froid!
-- Mais ouvrez donc, ouvrez donc! criait-on du dehors.
-- On ouvre,? répondit le sergent Long, qui semblait véritablement ouvrir en douze temps.
Enfin les battants de la porte se rabattirent intérieurement, et le sergent fut à demi renversé dans la neige par un tra?neau attelé de six chiens qui passa comme un éclair. Un peu plus, le digne Long était écrasé. Mais se relevant, sans même proférer un murmure, il ferma la poterne et revint vers la maison principale, au pas ordinaire, c'est-à-dire en faisant soixante-quinze enjambées à la minute.
Mais déjà le capitaine Craventy, le lieutenant Jasper Hobson, le caporal Joliffe étaient là, bravant la température excessive et regardant le tra?neau, blanc de neige, qui venait de s'arrêter devant eux.
Un homme, doublé et encapuchonné de fourrures, en était aussit?t descendu.
?Le Fort-Reliance? demanda cet homme.
-- C'est ici, répondit le capitaine.
-- Le capitaine Craventy?
-- C'est moi. Qui êtes-vous?
-- Un courrier de la Compagnie.
-- êtes-vous seul?
-- Non! j'amène un voyageur!
-- Un voyageur! Et que vient-il faire?
-- Il vient voir la lune.? à cette réponse, le capitaine Craventy se demanda s'il avait affaire à un fou, et, dans de telles circonstances, on pouvait le penser. Mais il n'eut pas le temps de formuler son opinion. Le courrier avait retiré du tra?neau une masse inerte, une sorte de sac couvert de neige, et il se disposait à l'introduire dans la maison, quand le capitaine lui demanda: ?Quel est ce sac?
-- C'est mon voyageur! répondit le courrier.
-- Quel est ce voyageur?
-- L'astronome Thomas Black.
-- Mais il est gelé!
-- Eh bien, on le dégèlera.? Thomas Black, transporté par le sergent, le caporal et le courrier, fit son entrée dans la maison du fort. On le déposa dans une chambre du premier étage, dont la température était fort supportable, grace à la présence d'un poêle porté au rouge vif. On l'étendit sur un lit, et le capitaine lui prit la main.
Cette main était littéralement gelée. On
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