du poêle, pendant que
les invités allaient et venaient de la table des victuailles à la table des
rafraîchissements.
«Madame, répondit le capitaine, tout ce qu'un homme peut faire, Jasper
Hobson le fera. La Compagnie l'a chargé d'explorer le nord de ses
possessions et d'établir une factorerie aussi près que possible des
limites du continent américain, et il l'établira.
-- C'est une grande responsabilité qui incombe au lieutenant Hobson!
dit la voyageuse.
-- Oui, madame, mais Jasper Hobson n'a jamais reculé devant une tâche
à accomplir, si rude qu'elle pût être.
-- Je vous crois, capitaine, répondit Mrs. Paulina, et ce lieutenant, nous
le verrons à l'oeuvre. Mais quel intérêt pousse donc la Compagnie à
construire un fort sur les limites de la mer Arctique?
-- Un grand intérêt, madame, répondit le capitaine, et j'ajouterai même
un double intérêt. Probablement dans un temps assez rapproché, la
Russie cédera ses possessions américaines au gouvernement des
Etats-Unis[1]. Cette cession opérée, le trafic de la Compagnie
deviendra très difficile avec le Pacifique, à moins que le passage du
nord-ouest découvert par Mac Clure ne devienne une voie praticable.
C'est, d'ailleurs, ce que de nouvelles tentatives démontreront, car
l'amirauté va envoyer un bâtiment dont la mission sera de remonter la
côte américaine depuis le détroit de Behring jusqu'au golfe du
Couronnement, limite orientale en deçà de laquelle doit être établi le
nouveau fort. Or, si l'entreprise réussit, ce point deviendra une
factorerie importante dans laquelle se concentrera tout le commerce de
pelleteries du Nord. Et, tandis que le transport des fourrures exige un
temps considérable et des frais énormes pour être effectué à travers les
territoires indiens, en quelques jours des steamers pourront aller du
nouveau fort à l'océan Pacifique.
-- Ce sera là, en effet, répondit Mrs. Paulina Barnett, un résultat
considérable, si le passage du nord-ouest peut être utilisé. Mais vous
aviez parlé d'un double intérêt, je crois?
-- L'autre intérêt, madame, reprit le capitaine, le voici, et c'est, pour
ainsi dire, une question vitale pour la Compagnie, dont je vous
demanderai la permission de vous rappeler l'origine en quelques mots.
Vous comprendrez alors pourquoi cette association, si florissante
autrefois, est maintenant menacée dans la source même de ses
produits.»
En quelques mots, effectivement, le capitaine Craventy fit l'historique
de cette Compagnie célèbre.
On sait que dès les temps les plus reculés, l'homme emprunta aux
animaux leur peau ou leur fourrure pour s'en vêtir. Le commerce des
pelleteries remonte donc à la plus haute antiquité. Le luxe de
l'habillement se développa même à ce point que des lois somptuaires
furent plusieurs fois édictées afin d'enrayer cette mode qui se portait
principalement sur les fourrures. Le vair et le petit-gris durent être
prohibés au milieu du XIIème siècle.
En 1553, la Russie fonda plusieurs établissements dans ses steppes
septentrionales, et des compagnies anglaises ne tardèrent pas à l'imiter.
C'était par l'entremise des Samoyèdes que se faisait alors ce trafic de
martres-zibelines, d'hermines, de castors, etc. Mais, pendant le règne
d'Élisabeth, l'usage des fourrures luxueuses fut restreint singulièrement,
de par la volonté royale, et, pendant quelques années, cette branche de
commerce demeura paralysée.
Le 2 mai 1670, un privilège fut accordé à la Compagnie des pelleteries
de la baie d'Hudson. Cette société comptait un certain nombre
d'actionnaires dans la haute noblesse, le duc d'York, le duc d'Albermale,
le comte de Shaftesbury, etc. Son capital n'était alors que de huit mille
quatre cent vingt livres. Elle avait pour rivales les associations
particulières dont les agents français, établis au Canada, se lançaient
dans des excursions aventureuses, mais fort lucratives. Ces intrépides
chasseurs, connus sous le nom de «voyageurs canadiens», firent une
telle concurrence à la Compagnie naissante, que l'existence de celle-ci
fut sérieusement compromise.
Mais la conquête du Canada vint modifier cette situation précaire. Trois
ans après la prise de Québec, en 1766, le commerce des pelleteries
reprit avec un nouvel entrain. Les facteurs anglais s'étaient familiarisés
avec les difficultés de ce genre de trafic: ils connaissaient les moeurs du
pays, les habitudes des Indiens, le mode qu'ils employaient dans leurs
échanges. Cependant, les bénéfices de la Compagnie étaient nuls
encore. De plus, vers 1784, des marchands de Montréal s'étant associés
pour l'exploitation des pelleteries, fondèrent cette puissante
«Compagnie du nord-ouest», qui centralisa bientôt toutes les opérations
de ce genre. En 1798, les expéditions de la nouvelle société se
montaient au chiffre énorme de cent vingt mille livres sterling, et la
Compagnie de la baie d'Hudson était encore menacée dans son
existence.
Il faut dire que cette Compagnie du nord-ouest ne reculait devant aucun
acte immoral, quand son intérêt était en jeu. Exploitant leurs propres
employés, spéculant sur la misère des Indiens, les maltraitant, les
pillant après les avoir enivrés, bravant la défense du parlement qui
prohiba la vente des liqueurs alcooliques sur les territoires indigènes,
les agents
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