Le neveu de Rameau | Page 4

Denis Diderot
n��cessairement nuisible �� la longue; et qu'au contraire, la v��rit�� sert n��cessairement �� la longue; bien qu'il puisse arriver qu'elle nuise dans le moment. D'o�� je serais tent�� de conclure que l'homme de g��nie qui d��crie une erreur g��n��rale, ou qui accr��dite une grande v��rit��, est toujours un ��tre digne de notre v��n��ration. Il peut arriver que cet ��tre soit la victime du pr��jug�� et des lois; mais il y a deux sortes de lois, les unes d'une ��quit��, d'une g��n��ralit�� absolues; d'autres bizarres qui ne doivent leur sanction qu'�� l'aveuglement ou la n��cessit�� des circonstances. Celles-ci ne couvrent le coupable qui les enfreint que d'une ignominie passag��re; ignominie que le temps reverse sur les juges et sur les nations, pour y rester �� jamais. De Socrate, ou du magistrat qui lui fit boire la cigu?, quel est aujourd'hui le d��shonor��?
LUI. -- Le voil�� bien avanc��! en a-t-il ��t�� moins condamn��? en a- t-il moins ��t�� mis �� mort? en a-t-il moins ��t�� un citoyen turbulent? par le m��pris d'une mauvaise loi, en a-t-il moins encourag�� les fous au m��pris des bonnes? en a-t-il moins ��t�� un particulier audacieux et bizarre? Vous n'��tiez pas ��loign�� tout �� l'heure d'un aveu peu favorable aux hommes de g��nie.
MOI. -- ��coutez-moi, cher homme. Une soci��t�� ne devrait point avoir de mauvaises lois; et si elle n'en avait que de bonnes, elle ne serait jamais dans le cas de pers��cuter un homme de g��nie. Je ne vous ai pas dit que le g��nie f?t indivisiblement attach�� �� la m��chancet��, ni la m��chancet�� au g��nie. Un sot sera plus souvent un m��chant qu'un homme d'esprit. Quand un homme de g��nie serait commun��ment d'un commerce dur, difficile, ��pineux, insupportable, quand m��me ce serait un m��chant, qu'en concluriez-vous? LUI. -- Qu'il est bon �� noyer.
MOI. -- Doucement; cher homme. ?a, dites-moi; je ne prendrai pas votre oncle pour exemple; c'est un homme dur; c'est un brutal; il est sans humanit��; il est avare. Il est mauvais p��re, mauvais ��poux; mauvais oncle; mais il n'est pas assez d��cid�� que ce soit un homme de g��nie; qu'il ait pouss�� son art fort loin, et qu'il soit question de ses ouvrages dans dix ans. Mais Racine? Celui-l�� certes avait du g��nie, et ne passait pas pour un trop bon homme. Mais de Voltaire?
LUI. -- Ne me pressez pas; car je suis cons��quent.
MOI. -- Lequel des deux pr��f��reriez-vous? Ou qu'il e?t ��t�� un bon homme, identifi�� avec son comptoir comme Briasson ou avec son aune, comme Barbier, faisant r��guli��rement tous les ans un enfant l��gitime �� sa femme, bon mari; bon p��re, bon oncle, bon voisin, honn��te commer?ant, mais rien de plus; ou qu'il e?t ��t�� fourbe, tra?tre, ambitieux, envieux, m��chant; mais auteur d'Andromaque, de Britannicus, d'Iphig��nie, de Ph��dre, d'Athalie.
LUI. -- Pour lui, ma foi, peut-��tre que de ces deux hommes, il e?t mieux valu qu'il e?t ��t�� le premier.
MOI. -- Cela est m��me infiniment plus vrai que vous ne le sentez.
LUI. -- Oh! vous voil��, vous autres! Si nous disons quelque chose de bien, c'est comme des fous, ou des inspir��s; par hasard. Il n'y a que vous autres qui vous entendiez. Oui, monsieur le philosophe. Je m'entends; et je m'entends ainsi que vous vous entendez.
MOI. -- Voyons; eh bien, pourquoi pour lui?
LUI. -- C'est que toutes ces belles choses-l�� qu'il a faites ne lui ont pas rendu vingt mille francs; et que s'il e?t ��t�� un bon marchand en soie de la rue Saint-Denis ou Saint-Honor��, un bon ��picier en gros, un apothicaire bien achaland��, il e?t amass�� une fortune immense, et qu'en l'amassant, il n'y aurait eu sorte de plaisirs dont il n'e?t joui; qu'il aurait donn�� de temps en temps la pistole �� un pauvre diable de bouffon comme moi qui l'aurait fait rire, qui lui aurait procur�� dans l'occasion une jeune fille qui l'aurait d��sennuy�� de l'��ternelle cohabitation avec sa femme; que nous aurions fait d'excellents repas chez lui, jou�� gros jeu; bu d'excellents vins, d'excellentes liqueurs, d'excellents caf��s, fait des parties de campagne; et vous voyez que je m'entendais. Vous riez. Mais laissez-moi dire. Il e?t ��t�� mieux pour ses entours.
MOI. -- Sans contredit; pourvu qu'il n'e?t pas employ�� d'une fa?on d��shonn��te l'opulence qu'il aurait acquise par un commerce l��gitime; qu'il e?t ��loign�� de sa maison tous ces joueurs; tous ces parasites; tous ces fades complaisants; tous ces fain��ants, tous ces pervers inutiles; et qu'il e?t fait assommer �� coups de batons, par ses gar?ons de boutique, l'homme officieux qui soulage, par la vari��t��, les maris, du d��go?t d'une cohabitation habituelle avec leurs femmes.
LUI. -- Assommer! monsieur, assommer! on n'assomme personne dans une ville bien polic��e. C'est un ��tat honn��te. Beaucoup de gens, m��me titr��s, s'en m��lent. Et �� quoi diable, voulez-vous donc qu'on emploie son argent, si ce n'est �� avoir bonne table, bonne
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