Le nabab, tome II | Page 8

Alphonse Daudet
profils d'enfant aux lignes simples o�� le poli de la pierre semble une moiteur de vie, tout le reste n'��tait que rides, plis, crispations et grimaces, nos exc��s de travail, de mouvements, nos nervosit��s et nos fi��vres s'opposant �� cet art de repos et de belle s��r��nit��.
Au moins la laideur du Nabab avait pour elle l'��nergie, son c?t�� aventurier et canaille, et cette expression de bont��, si bien rendue par l'artiste, qui avait eu le soin de foncer son platre d'une couche d'ocre lui donnant presque le ton hal�� et basan�� du mod��le. Les Arabes firent, en le voyant, une exclamation ��touff��e. ?Bou-Sa?d...? (le p��re du bonheur). C'��tait le surnom du Nabab �� Tunis, comme l'��tiquette de sa chance. Le bey, lui, croyant qu'on avait voulu le mystifier, de le conduire ainsi devant le mercanti d��test��, regarda l'inspecteur avec m��fiance:
?Jansoulet?... dit-il de sa voix gutturale.
--Oui, Altesse, Bernard Jansoulet, le nouveau d��put�� de la Corse...?
Cette fois le bey se tourna vers Hemerlingue, le sourcil fronc��.
?D��put��?
--Oui, Monseigneur, depuis ce matin; mais rien n'est encore termin��.?
Et le banquier, haussant la voix, ajouta en bredouillant: ?Jamais une Chambre fran?aise ne voudra de cet aventurier.?
N'importe! le coup ��tait port�� �� l'aveugle confiance du bey dans son baron financier. Il lui avait si bien affirm�� que l'autre ne serait jamais ��lu, qu'on pouvait agir librement et sans crainte �� son endroit. Et voici qu'au lieu de l'homme tar��, terrass��, un repr��sentant de la nation se dressait devant lui, un d��put�� dont les Parisiens venaient admirer la figure de pierre; car, pour l'Oriental, une id��e honorifique se m��lant malgr�� tout �� cette exposition publique, ce buste avait le prestige d'une statue dominant une place. Plus jaune encore que de coutume, Hemerlingue s'accusait en lui-m��me de maladresse et d'imprudence. Mais comment se serait-il dout�� d'une chose pareille? On lui avait assur�� que le buste n'��tait pas fini. Et, de fait, il se trouvait l�� du matin m��me et semblait s'y trouver bien, fr��missant d'orgueil satisfait, narguant ses ennemis avec le sourire bon enfant de sa l��vre retrouss��e. Une vraie revanche silencieuse au d��sastre de Saint-Romans.
Pendant quelques minutes, le bey, aussi froid, aussi impassible que l'image sculpt��e, la fixa sans rien dire, le front partag�� d'un pli droit o�� les courtisans seuls pouvaient lire sa col��re; puis, apr��s deux mots rapides en arabe pour demander les voitures et rassembler la suite dispers��e, il s'achemina gravement vers la sortie sans vouloir plus rien regarder... Qui dira ce qui se passe dans ces augustes cervelles blas��es de puissance? D��j�� nos souverains d'Occident ont des fantaisies incompr��hensibles; mais ce n'est rien �� c?t�� des caprices orientaux. M. l'inspecteur des Beaux-Arts, qui comptait bien montrer toute l'exposition �� Son Altesse et gagner �� cette promenade le joli ruban rouge et vert du Nicham-Iftikahr, ne sut jamais le secret de cette soudaine fuite.
Au moment o�� les ha?cks blancs disparaissaient sous le porche, juste �� temps pour voir flotter leurs derniers plis, le Nabab faisait son entr��e par la porte du milieu. Le matin, il avait re?u la nouvelle: ?��lu �� une ��crasante majorit��;? et apr��s un plantureux d��jeuner, o�� l'on avait fortement toast�� au nouveau d��put�� de la Corse, il venait, avec quelques-uns de ses convives, se montrer, se voir aussi, jouir de toute sa gloire nouvelle.
Le premi��re personne qu'il aper?ut en arrivant, ce fut F��licia Ruys, debout, appuy��e au socle d'une statue, entour��e de compliments et d'hommages auxquels il se hata de venir m��ler les siens. Elle ��tait simplement mise, drap��e dans un costume noir brod�� et chamarr�� de jais, temp��rant la s��v��rit�� de sa tenue par un scintillement de reflets et l'��clat d'un ravissant [illisible] chapeau tout en plumes de lophophores, dont ses cheveux fris��s fin sur le front, divisant la nuque en larges ondes, semblaient continuer et adoucir le chatoiement.
Une foule d'artistes, de gens du monde, s'empressaient devant tant de g��nie alli�� �� tant de beaut��; et Jenkins, la t��te nue, tout bouffant d'effusions chaleureuses, s'en allait de l'un �� l'autre, raccolant les enthousiasmes, mais ��largissant le cercle autour de cette jeune gloire dont il se faisait �� la fois le gardien et le coryph��e. Sa femme s'entretenait pendant ce temps avec la jeune fille. Pauvre madame Jenkins! On lui avait dit de cette voix f��roce qu'elle seule connaissait: ?Il faut que vous alliez saluer F��licia...? Et elle y ��tait all��e, contenant son ��motion: car elle savait maintenant ce qui se cachait au fond de cette affection paternelle, quoiqu'elle ��vitat toute explication avec le docteur, comme si elle en avait craint l'issue.
Apr��s madame Jenkins, c'est le Nabab qui se pr��cipite, et prenant entre ses deux grosses pattes les deux mains long et finement gant��es de l'artiste, exprime sa reconnaissance avec une cordialit�� qui lui met �� lui-m��me des larmes dans les yeux.
?C'est un grand honneur que vous m'avez fait, Mademoiselle, d'associer
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