Le nabab, tome II | Page 9

Alphonse Daudet
mon nom au v?tre, mon humble personne �� votre triomphe, et de prouver �� toute cette vermine en train de me ronger les talons que vous ne croyez pas aux calomnies r��pandues sur mon compte. Vrai, c'est inoubliable. J'aurai beau couvrir d'or et de diamants ce buste magnifique, je vous le devrai toujours...?
Heureusement pour le bon Nabab, plus sensible qu'��loquent, il est oblig�� de faire place �� tout ce qu'attire le talent rayonnant, la personnalit�� en vue: des enthousiasmes fr��n��tiques qui, faute d'un mot pour s'exprimer, disparaissent comme ils sont venus, des admirations mondaines, anim��es de bonne volont��, d'un vif d��sir de plaire, mais dont chaque parole est une douche d'eau froide, et puis les solides poign��es de main des rivaux, des camarades, quelques-unes tr��s franches, d'autres qui vous communiquent la mollesse de leur empreinte; le grand dadais pr��tentieux dont l'��loge imb��cile doit vous transporter d'aise et qui, pour ne point trop vous gater, l'accompagne ?de quelques petites r��serves,? et celui qui, en vous accablant de compliments, vous d��montre que vous ne savez pas le premier mot du m��tier, et le bon gar?on affair�� qui s'arr��te juste le temps de vous dire dans l'oreille ?que Chose, le fameux critique, n'a pas l'air content.? F��licia ��coutait tout avec le plus grand calme, soulev��e par son succ��s au-dessus des petitesses de l'envie, et toute fi��re quand un v��t��ran glorieux, quelque vieux compagnon de son p��re lui jetait un ?c'est tr��s bien, petiote!? qui la reportait au pass��, au petit coin jadis r��serv�� pour elle dans l'atelier paternel, alors qu'elle commen?ait �� se tailler un peu de gloire dans la renomm��e du grand Ruys. Mais, en somme, les f��licitations la laissaient assez froide, parce qu'il lui en manquait une plus d��sirable que toute autre et qu'elle s'��tonnait de n'avoir pas encore re?ue... D��cid��ment elle pensait �� lui plus qu'elle n'avait pens�� �� aucun homme. ��tait-ce enfin l'amour, le grand amour si rare dans une ame d'artiste incapable de se donner tout enti��re au sentiment, ou bien un simple r��ve de vie honn��te et bourgeoise, bien abrit��e contre l'ennui, ce plat ennui, pr��curseur de temp��tes, dont elle avait tant le droit de se m��fier? En tout cas, elle s'y trompait, vivait depuis quelques jours dans un trouble d��licieux, car l'amour est si fort, si beau, que ses semblants, ses mirages nous leurrent et peuvent nous ��mouvoir autant que lui-m��me.
Vous est-il quelquefois arriv�� dans la rue, pr��occup�� d'un absent dont la pens��e vous tient au coeur, d'��tre averti de sa rencontre par celle de quelques personnes qui lui ressemblent vaguement, images pr��paratoires, esquisses du type pr��s de surgir tout �� l'heure, et qui sortent pour vous de la foule comme des appels successifs �� votre attention surexcit��e? Ce sont l�� des impressions magn��tiques et nerveuses dont il ne faut pas trop sourire, parce qu'elles constituent une facult�� de souffrance. D��j��, dans le flot remuant et toujours renouvel�� des visiteurs, F��licia avait cru reconna?tre �� plusieurs reprises la t��te boucl��e de Paul de G��ry, quand tout �� coup elle poussa un cri de joie. Ce n'��tait pas encore lui pourtant, mais quelqu'un qui lui ressemblait beaucoup, dont la physionomie r��guli��re et paisible se m��lait toujours maintenant dans son esprit �� celle de l'ami Paul par l'effet d'une ressemblance plus morale que physique et l'autorit�� douce qu'ils exer?aient tous deux sur sa pens��e.
?Aline!
--F��licia!?
Si rien n'est plus probl��matique que l'amiti�� de deux mondaines partageant des royaut��s de salon et se prodiguant les ��pith��tes flatteuses, les menues graces de l'affectuosit�� f��minine, les amiti��s d'enfance conservent chez la femme une franchise d'allure qui les distingue, les fait reconna?tre entre toutes, liens tress��s na?vement et solides comme ces ouvrages de petites filles o�� une main inexp��riment��e a prodigu�� le fil et les gros noeuds, plantes venues aux terrains jeunes, fleuries mais fortes en racines, pleines de vie et de repousses. Et quel bonheur, la main dans la main--rondes du pensionnat, o�� ��tes-vous?--de retourner de quelques pas en arri��re avec une ��gale connaissance du chemin et de ses incidents minimes, et le m��me rire attendri. Un peu �� l'��cart, les deux jeunes filles, �� qui il a suffi de se retrouver en face l'une de l'autre pour oublier cinq ann��es d'��loignement, pressent leurs paroles et leurs souvenirs, pendant que le petit p��re Joyeuse, sa t��te rougeaude ��clair��e d'une cravate neuve, se redresse tout fier de voir sa fille accueillie ainsi par une illustration. Fier, certes il a raison de l'��tre, car cette petite Parisienne, m��me aupr��s de sa resplendissante amie, garde son prix de grace, de jeunesse, de candeur lumineuse, sous ses vingt ans velout��s et dor��s que la joie du revoir ��panouit en fra?che fleur.
?Comme tu dois ��tre heureuse!... Moi, je n'ai encore rien vu; mais j'entends dire �� tout le monde que c'est si beau...
--Heureuse surtout de te retrouver, petite
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