Le nabab, tome II | Page 7

Alphonse Daudet
on se d��nigre, on ��change des regards m��prisants, d��daigneux ou curieux, arr��t��s tout �� coup au passage d'une c��l��brit��, de ce critique illustre qu'il nous semble voir encore, tranquille et majestueux, sa t��te puissante encadr��e de cheveux longs, faire le tour des envois de sculpture, suivi d'une dizaine de jeunes disciples pench��s vers son autorit�� bienveillante. Si le bruit des voix se perd dans cet immense vaisseau, sonore seulement aux deux vo?tes de l'entr��e et de la sortie, les visages y prennent une intensit�� ��tonnante, un relief de mouvement et d'animation concentr�� surtout dans la vaste baie noire du buffet, d��bordante et gesticulante, les chapeaux clairs des femmes, les tabliers blancs du service ��clatant sur le fond des v��tements sombres, et dans la grande trav��e du milieu, o�� le fourmillement en vignette des promeneurs fait un singulier contraste avec l'immobilit�� des statues expos��es, la palpitation insensible dont s'entoure leur blancheur calcaire et leurs mouvements d'apoth��ose.
Ce sont des ailes fig��es dans un vol g��ant, une sph��re support��e par quatre figures all��goriques dont l'attitude tournante pr��sente une vague mesure de valse, un ensemble d'��quilibre donnant bien l'illusion de l'entra?nement de la terre; et des bras lev��s pour un signal, des corps h��ro?quement surgis, contenant une all��gorie, un symbole qui les frappe de mort et d'immortalit��, les rend �� l'histoire, �� la l��gende, �� ce monde id��al des mus��es que visite la curiosit�� ou l'admiration des peuples.
Quoique le groupe en bronze de F��licia n'e?t pas les proportions de ces grands morceaux, sa valeur exceptionnelle lui avait m��rit�� de d��corer un des ronds-points du milieu, dont le public se tenait en ce moment �� une distance respectueuse, regardant par-dessus la haie de gardiens et de sergents de ville le bey de Tunis et sa suite, longs burnous aux plis sculpturaux qui mettaient des statues vivantes en face des autres. Le bey, �� Paris depuis quelques jours et le lion de toutes les premi��res, avait voulu voir l'ouverture de l'Exposition. C'��tait ?un prince ��clair��, ami des arts,? qui poss��dait au Bardo une galerie de peintures turques ��tonnantes, et des reproductions chromo-lithographiques de toutes les batailles du premier Empire. D��s en entrant, la vue du grand l��vrier arabe l'avait frapp�� au passage. C'��tait bien le slougui, le vrai slougui, fin et nerveux de son pays, le compagnon de toutes ses chasses. Il riait dans sa barbe noire, tatait les reins de l'animal, caressait ses muscles, semblait vouloir l'exciter encore, tandis que les narines ouvertes, les dents �� l'air, tous les membres allong��s et infatigables dans leur ��lasticit�� vigoureuse, la b��te aristocratique, la b��te de proie, ardente �� l'amour et �� la chasse, ivre de sa double ivresse, les yeux fixes, savourait d��j�� sa capture avec un petit bout de langue qui pendait, aiguisant les dents d'un rire f��roce. Quand on ne regardait que lui, on se disait: ?Il le tient!? Mais la vue du renard vous rassurait tout de suite. Sous le velours de sa croupe lustr��e, f��lin, presque ras�� �� terre, br?lant le sol sans effort, on le sentait vraiment f��e, et sa t��te fine aux oreilles pointues qu'il tournait, tout en courant, du c?t�� du l��vrier avait une expression de s��curit�� ironique qui marquait bien le don re?u des dieux.
Pendant qu'un inspecteur des beaux-arts, accouru en toute hate, harnach�� de travers et chauve jusque dans le dos, expliquait �� Mohammed l'apologue du ?Chien et du Renard?, racont�� au livret avec cette l��gende: ?Advint qu'ils se rencontr��rent,? et cette indication: ?Appartient au duc de Mora,? le gros Hemerlingue, suant et soufflant �� c?t�� de l'Altesse, avait bien du mal �� lui persuader que cette sculpture magistrale ��tait l'oeuvre de la belle amazone qu'ils avaient rencontr��e la veille au Bois. Comment une femme aux mains faibles pouvait-elle assouplir ainsi le bronze dur, lui donner l'apparence de la chair? De toutes les merveilles de Paris, c'��tait celle qui causait au bey le plus d'��tonnement. Aussi s'informa-t-il aupr��s du fonctionnaire s'il n'y avait rien autre �� voir du m��me artiste.
?Si fait, Monseigneur, encore un chef-d'oeuvre... Si Votre Altesse veut venir de ce c?t��, je vais la conduire.?
Le bey se remit en marche avec sa suite. C'��taient tous d'admirables types, traits cisel��s et lignes pures, paleurs chaudes dont la blancheur du ha?ck absorbait jusqu'aux reflets.
Magnifiquement drap��s, ils contrastaient avec les bustes rang��s sur les deux c?t��s de l'all��e qu'ils avaient prise, et qui, perch��s sur leurs hautes colonnettes, gr��les dans l'air vide, exil��s de leur milieu, de l'entourage dans lequel ils auraient rappel�� sans doute de grands travaux, une affection tendre, une existence remplie et courageuse, faisaient la triste mine de gens fourvoy��s, tr��s penauds de se trouver l��, �� part deux ou trois figures de femme, riches ��paules encadr��es de dentelles p��trifi��es, chevelures de marbre rendues avec ce flou qui leur donne des l��g��ret��s de coiffures poudr��es, quelques
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