Le nabab, tome I | Page 7

Alphonse Daudet
maladie se faisait discr��te, ��l��gante, o�� rien ne sentait cette main brutale qui jette sur un lit de mis��re ceux qui ne cessent de travailler que pour mourir. Ce n'��tait pas �� vrai dire des malades, ces clients du docteur irlandais. On n'en aurait pas voulu dans un hospice. Leurs organes n'ayant pas m��me la force d'une secousse, le si��ge de leur mal ne se trouvait nulle part, et le m��decin pench�� sur eux aurait cherch�� en vain la palpitation d'une souffrance dans ces corps que l'inertie, le silence de la mort habitaient d��j��. C'��taient des ��puis��s, des ext��nu��s, des an��miques br?l��s par une vie absurde, mais la trouvant si bonne encore qu'ils s'acharnaient �� la prolonger. Et les perles Jenkins devenaient fameuses justement pour ce coup de fouet donn�� aux existences surmen��es.
?Docteur, je vous en conjure, que j'aille au bal ce soir!? disait la jeune femme an��antie sur sa chaise longue et dont la voix n'��tait plus qu'un souffle.
--Vous irez, ma ch��re enfant.?
Et elle y allait, et jamais elle n'avait ��t�� plus belle.
?Docteur, �� tout prix, duss��-je en mourir, il faut que demain matin je sois au conseil des ministres.?
Il y ��tait, et il en rapportait un triomphe d'��loquence et de diplomatie ambitieuse. Apr��s... oh! apr��s, par exemple... Mais n'importe! jusqu'au dernier jour, les clients de Jenkins circulaient, se montraient, trompaient l'��go?sme d��vorant de la foule. Ils mouraient debout, en gens du monde.
Apr��s mille d��tours dans la Chauss��e-d'Antin, les Champs-Elys��es, apr��s avoir visit�� tout ce qu'il y avait de millionnaire ou de titr�� dans le faubourg Saint-Honor��, le m��decin �� la mode arriva �� l'angle du Cours-la-Reine et de la rue Fran?ois 1er, devant une fa?ade arrondie qui tenait le coin du quai, et p��n��tra au rez-de-chauss��e dans un int��rieur qui ne rassemblait en rien �� ceux qu'il traversait depuis le matin. D��s l'entr��e, des tapisseries couvrant les murs, de vieux vitraux coupant de lani��res de plomb un jour discret et m��lang��, un saint gigantesque en bois sculpt�� qui faisait face �� un monstre japonais aux yeux saillants, au dos couvert d'��cailles finement tuil��es, indiquaient le go?t imaginatif et curieux d'un artiste. Le petit domestique qui vint ouvrir tenait en laisse un l��vrier arabe plus grand que lui.
?Madame Constance est �� la messe, dit-il, et mademoiselle est dans l'atelier, toute seule... Nous travaillons depuis six heures du matin,? ajouta l'enfant avec un baillement lamentable que le chien attrapa au vol et qui lui fit ouvrir toute grande sa gueule rose aux dents aigu?s.
Jenkins, que nous avons vu entrer si tranquillement dans la chambre du ministre d'��tat, tremblait un peu en soulevant la tenture qui masquait la porte de l'atelier rest��e ouverte. C'��tait un superbe atelier de sculpture, dont la fa?ade en coin arrondissait tout un c?t�� vitr��, bord�� de pilastres, une large baie lumineuse opalis��e en ce moment par le brouillard. Plus orn��e que ne le sont d'ordinaire ces pi��ces de travail, que les souillures du platre, les ��bauchoirs, la terre glaise, les flaques d'eau font ressembler �� des chantiers de ma?onnerie, celle-ci ajoutait un peu de coquetterie �� sa destination artistique. Des plantes vertes dans tous les coins, quelques bons tableaux accroch��s au mur nu, et ?�� et l��--port��es par des consoles en ch��ne--deux ou trois oeuvres de S��bastien Ruys, dont la derni��re, expos��e apr��s sa mort, ��tait couverte d'une gaze noire.
La ma?tresse de la maison, F��licia Ruys, la fille du c��l��bre sculpteur, connue d��j�� elle-m��me par deux chefs-d'oeuvre, le buste de son p��re et celui du duc de Mora, se tenait au milieu de l'atelier, en train de modeler une figure. Serr��e dans une amazone de drap bleu �� longs plis, un fichu de Chine roul�� autour de son cou comme une cravate de gar?on, ses cheveux noirs group��s sans appr��t sur la forme antique de sa petite t��te, F��licia travaillait avec une ardeur extr��me, qui ajoutait �� sa beaut�� la condensation, le resserrement de tous les traits d'une expression attentive et satisfaite. Mais cela changea tout de suite �� l'arriv��e du docteur.
?Ah! c'est vous,? dit-elle brusquement, comme ��veill��e d'un r��ve... ?On a donc sonn��?... Je n'avais pas entendu.?
Et dans l'ennui, la lassitude r��pandus subitement sur cet adorable visage, il ne resta plus d'expressif et de brillant que les yeux, des yeux o�� l'��clat factice des perles Jenkins s'avivait d'une sauvagerie de nature.
Oh! comme la voix du docteur se fit humble et condescendante en lui r��pondant:
?Votre travail vous absorbe donc bien, ma ch��re F��licia?... C'est nouveau ce que vous faites l��?... Cela me para?t tr��s joli.?
Il s'approcha de l'��bauche encore informe, d'o�� sortait vaguement un groupe de deux animaux, dont un l��vrier qui d��talait �� fond de train avec une lanc��e vraiment extraordinaire.
?L'id��e m'en est venue cette nuit... J'ai commenc�� �� travailler �� la lampe... C'est mon pauvre Kadour qui ne s'amuse pas,? dit la jeune fille
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