Le mystère de la chambre jaune | Page 4

Gaston Leroux
la porte, un
grand mouchoir rouge de sang, sans aucune initiale, un vieux béret et la marque fraîche,
sur le plancher, de nombreux pas d’homme. L’homme qui avait marché là avait un grand
pied et les semelles laissaient derrière elles une espèce de suie noirâtre. Par où cet homme
était-il passé? Par où s’était-il évanoui? N’oubliez pas, monsieur, qu’il n’y a pas de
cheminée dans la «Chambre Jaune». Il ne pouvait s’être échappé par la porte, qui est très
étroite et sur le seuil de laquelle la concierge est entrée avec sa lampe, tandis que le
concierge et moi nous cherchions l’assassin dans ce petit carré de chambre où il est
impossible de se cacher et où, du reste, nous ne trouvions personne. La porte défoncée et
rabattue sur le mur ne pouvait rien dissimuler, et nous nous en sommes assurés. Par la
fenêtre restée fermée avec ses volets clos et ses barreaux auxquels on n’avait pas touché,
aucune fuite n’avait été possible. Alors? Alors... je commençais à croire au diable.
«Mais voilà que nous avons découvert, par terre, «mon revolver». Oui, mon propre
revolver... Ça, ça m’a ramené au sentiment de la réalité! Le diable n’aurait pas eu besoin
de me voler mon revolver pour tuer mademoiselle. L’homme qui avait passé là était
d’abord monté dans mon grenier, m’avait pris mon revolver dans mon tiroir et s’en était
servi pour ses mauvais desseins. C’est alors que nous avons constaté, en examinant les
cartouches, que l’assassin avait tiré deux coups de revolver. Tout de même, monsieur, j’ai
eu de la veine, dans un pareil malheur, que M. Stangerson se soit trouvé là, dans son
laboratoire, quand l’affaire est arrivée et qu’il ait constaté de ses propres yeux que je m’y
trouvais moi aussi, car, avec cette histoire de revolver, je ne sais pas où nous serions allés;
pour moi, je serais déjà sous les verrous. Il n’en faut pas davantage à la justice pour faire
monter un homme sur l’échafaud!»
Le rédacteur du matin fait suivre cette interview des lignes suivantes:
«Nous avons laissé, sans l’interrompre, le père Jacques nous raconter grossièrement ce
qu’il sait du crime de la «Chambre Jaune». Nous avons reproduit les termes mêmes dont
il s’est servi; nous avons fait seulement grâce au lecteur des lamentations continuelles
dont il émaillait sa narration. C’est entendu, père Jacques! C’est entendu, vous aimez bien
vos maîtres! Vous avez besoin qu’on le sache, et vous ne cessez de le répéter, surtout
depuis la découverte du revolver. C’est votre droit et nous n’y voyons aucun inconvénient!
Nous aurions voulu poser bien des questions encore au père Jacques -- Jacques-Louis
Moustier -- mais on est venu justement le chercher de la part du juge d’instruction qui
poursuivait son enquête dans la grande salle du château. Il nous a été impossible de
pénétrer au Glandier, -- et, quant à la Chênaie, elle est gardée, dans un large cercle, par
quelques policiers qui veillent jalousement sur toutes les traces qui peuvent conduire au
pavillon et peut-être à la découverte de l’assassin.
«Nous aurions voulu également interroger les concierges, mais ils sont invisibles. Enfin
nous avons attendu dans une auberge, non loin de la grille du château, la sortie de M. de

Marquet, le juge d’instruction de Corbeil. À cinq heures et demie, nous l’avons aperçu
avec son greffier. Avant qu’il ne montât en voiture, nous avons pu lui poser la question
suivante:
«-- Pouvez-vous, Monsieur De Marquet, nous donner quelque renseignement sur cette
affaire, sans que cela gêne votre instruction?
«-- Il nous est impossible, nous répondit M. de Marquet, de dire quoi que ce soit. Du reste,
c’est bien l’affaire la plus étrange que je connaisse. Plus nous croyons savoir quelque
chose, plus nous ne savons rien!
«Nous demandâmes à M. de Marquet de bien vouloir nous expliquer ces dernières
paroles. Et voici ce qu’il nous dit, dont l’importance n’échappera à personne:
«-- Si rien ne vient s’ajouter aux constatations matérielles faites aujourd’hui par le
parquet, je crains bien que le mystère qui entoure l’abominable attentat dont Mlle
Stangerson a été victime ne soit pas près de s’éclaircir; mais il faut espérer, pour la raison
humaine, que les sondages des murs, du plafond et du plancher de la «Chambre Jaune»,
sondages auxquels je vais me livrer dès demain avec l’entrepreneur qui a construit le
pavillon il y a quatre ans, nous apporteront la preuve qu’il ne faut jamais désespérer de la
logique des choses. Car le problème est là: nous savons par où l’assassin s’est introduit, --
il est entré par la porte et s’est caché sous le lit en attendant Mlle Stangerson; mais par où
est-il sorti? Comment a-t-il pu s’enfuir? Si l’on ne trouve ni trappe, ni porte secrète, ni
réduit, ni ouverture d’aucune sorte, si l’examen des murs et même leur
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