Le marquis de Loc-Ronan | Page 6

Ernest Capendu
o�� nous le rencontrons, il se dirige vers la for��t de Saint-Gildas. Cette for��t ��tait alors au pouvoir des royalistes, comme tout le pays environnant jusqu'�� Nantes, et les chouans y avaient ��tabli un ?placis?.
On d��signait par ce nom de placis un campement de chouans dans une for��t. Les royalistes choisissaient pour cela une clairi��re de plusieurs arpents entour��e d'abatis. Des cabanes de gazon, de feuillage, de bois mort, ��taient baties rapidement au milieu de l'enceinte. Au centre on r��servait un arbre, ou, �� son d��faut, on ��levait un poteau sur lequel on pla?ait une croix d'argent. Un autel de terre et de mousse ��tait dress�� au pied.
C'��tait dans le placis que se r��fugiaient les femmes et les enfants qui avaient d��sert�� leurs fermes et leurs granges pill��es ou br?l��es par les bleus. Les uns s'occupaient �� moudre du grain, les autres fondaient des balles. Les enfants tressaient des chapeaux ou fabriquaient des cocardes. Les placis servaient aussi d'ambulance pour les bless��s et de quartier g��n��ral pour les chefs. Des sentinelles, dispers��es dans les environs, qui dans les gen��ts, qui sur les arbres, ��taient toujours pr��tes �� donner le signal d'alarme. Le placis de Saint-Gildas ��tait command�� par M. de Boishardy.
Avant de s'engager dans la for��t, l'homme fit entendre le cri de la chouette. Un cri pareil lui r��pondit; puis le son d'une corne, r��p��t�� successivement, annon?a au placis l'arriv��e d'un paysan.
En p��n��trant dans la clairi��re, le chouan s'arr��ta:
--Te voil��, mon gars? dit un homme en lui tendant la main. Tu as donc ��chapp�� aux balles des bleus?
--Oui, mais il y en a deux ou trois qui garderont souvenir des miennes.
--Tu as ��t�� attaqu��?
--J'ai pass�� au milieu des avant-postes du g��n��ral Guillaume.
--Et tu n'as pas ��t�� bless��, Keinec?
--Non, Fleur-de-Ch��ne.
--Ils ont tir�� sur toi, pourtant?
--Les balles m'ont siffl�� aux oreilles.
--Le pauvre Jahoua va ��tre bien heureux de te revoir; depuis douze jours que tu es parti, il ne parle que de toi.
--Comment va-t-il?
--Mieux.
--Sa blessure est ferm��e?
--Pas encore, mais cela ne tardera pas.
--Tant mieux.
--Ah ?��! vous vous aimez donc bien?
--Comme deux gars qui ont voulu se tuer jadis et qui maintenant sacrifieraient leur existence pour se sauver mutuellement.
--C'est donc ?a qu'on vous appelle les ins��parables?
--Oui.
--Veux-tu venir le voir?
--Non, il faut que je parle �� M. de Boishardy.
--Cela ne se peut pas, il est en conf��rence avec trois autres chefs.
--Lesquels?
--Tu les verras tout �� l'heure quand ils vont sortir.
--Dis toujours leurs noms!
--Non! fit Fleur-de-Ch��ne en souriant avec finesse.
--Pourquoi ne veux-tu pas parler?
--Je tiens �� te faire une surprise.
--Je ne te comprends pas, dit Keinec avec ��tonnement. Que peuvent me faire les noms des chefs qui sont l��?
--J'ai id��e qu'il y en aura un qui te fera sauter de joie.
--Eh bien, dis-le donc!
--Tu le veux?
--Oui.
--Allons! je ne veux pas te faire languir. D'abord, il y a Ob��issant[1].
[Note 1: Ob��issant ��tait le nom de guerre de M. de Cormatin.]
--Apr��s?
--Serviteur[2].
[Note 2: Nom de guerre de M. de Chantereau.]
--Et puis?...
--Devine!
--Comment veux-tu que je devine?
--Un ancien ami �� toi.
--Marcof? s'��cria Keinec dont les yeux brill��rent de joie.
--Lui-m��me!
--Oh! le ciel soit b��ni! Depuis quand est-il ici?
--Depuis deux heures.
--Et son lougre?
--Il est pr��s de Poenestin.
--M��ne-moi pr��s de Marcof, Fleur-de-Ch��ne!
--Tout �� l'heure, mon gars. Je t'ai dit qu'il y avait conf��rence. Attends un peu!
--Eh bien, r��pondit Keinec, je vais voir Jahoua. Tu m'appelleras d��s que je pourrai entrer.
--Sois calme, mon gars.
Keinec remercia son compagnon, et se dirigea vers une petite cabane �� la porte de laquelle travaillait une jeune fille.
--Bonjour, Mariic, dit Keinec.
--Bonjour, Keinec, r��pondit la Bretonne.
--Jahoua est au lit?
--H��las! oui, puisqu'il ne peut pas se lever.
--Tu le soignes toujours bien?
--Je fais ce que je puis, Keinec, et ton ami est content.
--Merci, ma fille.
Keinec entra. Une petite table en bois blanc, et quelques matelas entass��s dans un coin, formaient tout l'ameublement de la cabane. Une petite lampe ��clairait ce modeste r��duit.
Jahoua ��tait ��tendu sur le lit. Sa figure, pale et amaigrie, d��celait la souffrance. Un linge ensanglant�� lui entourait la t��te et cachait une partie de son front. Un autre lui bandait le bras droit. En voyant entrer Keinec, sa figure exprima un profond sentiment de joie, et, se soulevant avec peine, il lui tendit les deux bras.
--Comment vas-tu? demanda Keinec en s'asseyant sur le pied du lit.
--Aussi bien que possible, et mieux encore depuis que je te vois revenu.
--Brave Jahoua!
--Dame! Keinec, c'est que je t'aime maintenant autant que je t'ai d��test�� autrefois.
--Et moi, Jahoua, quand je songe que j'ai failli te tuer, j'ai envie de me couper le poignet.
--Ne pensons plus �� nous. Tu viens de la Cornouaille?
--Oui.
--Eh bien? Aucune nouvelle?
--Aucune!
--Elle sera morte!
--Assassin��e par les bleus, peut-��tre!
--Pauvre Yvonne! murmura le bless��.
Deux grosses larmes coul��rent lentement sur ses joues, tandis que Keinec fermait si violemment ses mains que les ongles de ses doigts s'enfon?aient dans les chairs. Les deux hommes ��taient plong��s dans de sombres pens��es.
Apr��s un silence, Jahoua leva la
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