s'appuya contre le tronc d'un arbre voisin. On entendait
confusément un bruit de voix animées s'échapper de l'intérieur.
La demeure du chef n'était pas mieux meublée que celle des soldats.
Dans la première pièce, un banc de bois et une petite table. Dans la
seconde, celle-ci était la chambre à coucher, une paillasse de fougère
étendue dans un angle. Cinq ou six chaises et une vaste table en chêne
composaient le reste de l'ameublement. Cinq hommes étaient assis
autour de la table sur laquelle était étendue une carte détaillée de la
Vendée et de la Bretagne. Quatre d'entre eux portaient un costume à
peu près semblable, un peu plus élégant que celui des paysans, mais
fort délabré par les fatigues de la guerre et par le séjour dans les bois.
Le cinquième seul semblait très soigné dans sa mise. Il portait des
bottes molles, une veste brodée, une culotte de peau et un habit de
velours cramoisi. Un panache vert s'épanouissait sur son chapeau, et il
tenait à la main un mouchoir de fine batiste. Le premier, celui qui tenait
le haut bout de la table, était M. de Boishardy. Le second était M. de
Cormatin. Le troisième, M. de Chantereau. Le quatrième, l'homme au
panache et au mouchoir, était le marquis de Jausset, récemment arrivé
de l'émigration, et qui n'avait encore pris aucune part aux affaires
actives. Il était envoyé par le comte de Provence. Enfin, en dernier
venait Marcof, dont l'oeil intelligent échangeait souvent avec celui de
Boishardy de nombreux signes qui échappaient à leurs interlocuteurs.
La conférence touchait à son terme. MM. de Cormatin et de Chantereau
venaient de se lever. Boishardy leur remit à chacun une feuille de
papier sur laquelle se lisaient des caractères d'impression.
--N'oubliez pas, leur dit-il, de faire placarder ce décret partout, c'est un
puissant auxiliaire pour notre cause.
--Quel décret, mon très cher? demanda le marquis d'une voix grêle et
avec un accent traînard qui contrastait étrangement avec la voix rude et
le ton ferme et impératif de Boishardy.
--Le décret de la Convention, dont je vous parlais tout à l'heure.
--Vous plairait-il de le relire?
--Volontiers.
Boishardy ouvrit l'une des feuilles.
--Décret du 31 juillet 1793, dit-il.
--Mais, interrompit Marcof, si ce décret a quatre mois de date, il doit
être connu de tous.
--Non pas, capitaine. Ce décret porte la date du 31 juillet, mais il paraît
qu'il est resté longtemps en carton à Paris, car il n'est arrivé ici et n'a été
placardé qu'il y a quinze jours.
--Continuez alors.
Boishardy reprit:
--Je vous fais grâce des considérants, messieurs. Il y en a deux pages,
dans lesquels ces bandits assassins de la Convention nous traitent de
brigands, d'aristocrates; j'en arrive aux arrêtés, les voici:
Arrêtons et décrétons ce qui suit:
«1º Tous les bois, taillis et genêts de la Vendée et de la Bretagne seront
livrés aux flammes;
«2º Les forêts seront rasées;
«3º Les récoltes coupées et portées sur les derrières de l'armée;
«4º Les bestiaux saisis;
«5º Les femmes et les enfants enlevés et conduits dans l'intérieur;
«6º Les biens des royalistes confisqués pour indemniser les patriotes
réfugiés;
«7º Au premier coup du tocsin, tous les hommes, sans distinction,
depuis seize ans jusqu'à soixante, devront prendre les armes dans les
districts limitrophes, sous peine d'être déclarés traîtres à la patrie et
traités comme tels par tous les bons patriotes.»
Boishardy jeta le papier sur la table.
--Qu'en pensez-vous, messieurs? demanda-t-il; la Convention
pouvait-elle mieux agir, et nos gars, en lisant ou en écoutant les termes
de ces articles, ne se défendront-ils pas jusqu'à la mort?
--Sans doute! répondit Cormatin.
--Permettez, fit le marquis en s'éventant gracieusement avec son
mouchoir. Tout cela est bel et bon, mais ce n'est pas suffisant. Il faut
écraser la République et remettre sur le trône nos princes légitimes.
--C'est ce à quoi nous tâchons, monsieur, dit Chantereau.
--Et vous n'y parviendrez qu'en suivant une autre marche.
--Laquelle? demanda Boishardy en souriant ironiquement.
--Il faut d'abord élire des chefs.
--Nous en avons.
--Mais j'entends par chefs des hommes de naissance.
--Douteriez-vous de la mienne?
--Dieu m'en garde, monsieur de Boishardy! Seulement, vous
reconnaîtrez qu'il y a en France des noms au-dessus du vôtre.
--Où sont-ils, ceux-là?
--A l'étranger.
--Eh bien, qu'ils y restent!
--Sans eux vous ne ferez rien de bon, cependant.
--Qu'ils viennent, alors! s'écria Marcof en frappant sur la table.
--Ils viendront, messieurs, ils viendront!
--Quand il n'y aura plus rien à faire, n'est-ce pas, monsieur le marquis?
--Vous prenez d'étranges libertés, mon cher.
--Marcof a raison, interrompit Boishardy. Nous commençons à être
fatigués de cette émigration qui ne fait rien, qui parle sans cesse, et qui,
lorsque nous aurons prodigué notre sang pour rétablir la monarchie,
viendra, sans nous honorer d'un regard, reprendre les places qu'elle dira
lui appartenir! Morbleu! qu'elle les
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