Le marquis de Loc-Ronan | Page 4

Ernest Capendu
au moyen de
courriers établis dans toutes les communes, et toujours prêts à partir.
C'étaient souvent des enfants et des femmes qui portaient dans leurs
sabots les dépêches de la plus terrible gravité, et qui, connaissant à
merveille les moindres détours du pays, se glissaient invisibles à travers
les lignes des bleus.
En outre, les Vendéens avaient organisé une correspondance
télégraphique au sommet de toutes les hauteurs, de tous les moulins et

de tous les grands arbres. Ils appliquaient à ces arbres des échelles
portatives, observaient des plus hautes branches la marche des bleus, et
tiraient un son convenu de leur corne de pasteur. Une sorte de gamme
arrêtée d'avance possédait différentes significations, suivant la note
émise par le veilleur. Le son, répété de distance en distance, portait la
bonne ou mauvaise nouvelle à tous ceux qu'elle intéressait. La
disposition des ailes des moulins avait aussi son langage. Ceux de la
montagne des Alouettes, près les Herbiers, étaient consultés à toute
heure par les divisions du centre.
Les premiers jours de mars avaient vu éclater la guerre. En moins de
deux mois l'insurrection prit des proportions gigantesques, menaçant
d'envahir l'ouest entier de la France. Des cruautés inouïes se
commettaient au nom des deux partis, et plus le temps s'écoulait, plus la
guerre avançait, plus la haine et la sauvagerie prenaient des deux côtés
de force et d'ardeur. Pour répondre aux atrocités accomplies par le
général républicain Westerman, auquel Bonchamp ne donnait que
l'épithète de «tigre», quatre cents soldats bleus prisonniers furent
égorgés à Machecoul. Sauveur, receveur à La Roche-Bernard, ayant
refusé de livrer sa caisse aux insurgés qui s'étaient emparés de la ville
aux cris de «Vive le roi!» fut attaché à un arbre et fusillé.
A partir du mois d'avril 1793, la Vendée, théâtre de la guerre, ne devint
plus qu'un vaste champ de carnage. La proscription des Girondins, le
31 mai suivant, vint redonner encore de la vigueur au soulèvement des
populations et faire atteindre à la guerre civile toute l'apogée de sa rage.
Il y avait loin de la guerre qui se faisait alors à celle commencée sous
les auspices de La Rouairie, et qui n'était, pour ainsi dire, qu'une
intrigue de gentilshommes bretons. Le 7 juin, une proclamation au nom
de Louis XVIII fut faite et lue à l'armée vendéenne, qui s'empara le jour
même de Doué. Le 9, elle arriva devant Saumur, emporta la ville et
força le lendemain le château à se rendre. Maîtres du cours de la Loire,
les royalistes pouvaient alors marcher sur Nantes ou sur La Flèche,
même sur Paris.
La France républicaine était dans une position désespérante. Au nord et
à l'est, l'étranger envahissait son sol. A l'ouest, ses propres enfants

déchiraient son sein.
La Convention, pour résister aux révoltes de Normandie, de Bretagne et
de Vendée, était obligée de disséminer ses forces, par conséquent de les
amoindrir.
Cathelineau, nommé généralissime des Vendéens, résolut de s'emparer
de Nantes, défendue par le marquis de Canclaux. Une balle, qui tua le
chef royaliste, sauva la ville en mettant le découragement parmi les
assiégeants. Pendant plusieurs jours, l'armée des blancs, désolée,
demanda des nouvelles de celui qu'elle appelait son père. Un vieux
paysan annonça ainsi la mort du général:
--Le bon général a rendu l'âme à qui la lui avait donnée pour venger sa
gloire.
Cathelineau laissa un nom respecté: aucun chef plus que lui n'a
représenté le caractère vendéen. On le surnommait le «saint d'Anjou».
Le 5 juillet, Westerman fut défait à Châtillon. Les 17 et 18,
Labarollière fut battu à Vihiers. A la fin du mois, l'insurrection, plus
menaçante que jamais en dépit de son échec devant Nantes, dominait
toute l'étendue de son territoire.
Biron, Westerman, Berthier, Menou, dénoncés par Ronsin et ses agents,
furent mandés à Paris. Beaucoup de gens ne se faisaient point d'illusion:
les dangers de la République existaient en Vendée; cette guerre
réagissait sur l'extérieur.
--Détruisez la Vendée, s'écriait Barrère, Valenciennes et Condé ne
seront plus au pouvoir de l'Autrichien! Détruisez la Vendée, l'Anglais
ne s'occupera plus de Dunkerque! Détruisez la Vendée, le Rhin sera
délivré des Prussiens. Enfin, chaque coup que vous frapperez sur la
Vendée retentira dans les villes rebelles, dans les départements
fédéralistes, sur les frontières envahies.
La Convention, dans une séance solennelle, crut ne pouvoir faire mieux
que de fixer au 20 octobre suivant (1793) la fin de la guerre vendéenne,

et elle accompagna son décret de cette énergique proclamation:
«Soldats de la liberté, il faut que les brigands de la Vendée soient
exterminés avant la fin du mois d'octobre; le salut de la patrie l'exige,
l'impatience du peuple français le commande, son courage doit
l'accomplir! La reconnaissance nationale attend à cette époque tous
ceux dont la valeur et le patriotisme auront affermi sans retour la liberté
et la République!»
Ainsi la Convention décrétait, par avance,
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