Le marquis de Loc-Ronan | Page 5

Ernest Capendu
la victoire; mais autre chose
est de vaincre sur le papier, dans les conseils, ou de vaincre sur le
champ de bataille. Le gouvernement envoya d'autre généraux en
Vendée, où Canclaux se proposait d'opérer un grand mouvement
offensif et battait effectivement Bonchamp, dans le moment même où
un décret le destituait, ainsi qu'Aubert du Brayer et Grouchy.
Cependant l'armée de Mayence, ayant Kléber à sa tête, avançait à
marches forcées. Le 18 septembre, elle rencontra à Torfou les royalistes.
Le combat fut sanglant, et les républicains battus après une lutte
épouvantable.
Les Vendéens les appelaient, par dérision, les «Faïençais»; mais les
républicains ne devaient pas tarder à prendre leur revanche: la bataille
de Cholet, la seule qui eut le caractère des batailles militaires, vint
porter un rude coup aux royalistes. Elle eut lieu le 14 octobre. Tout y
fut carnage, acharnement, héroïsme de part et d'autre. Les Vendéens
s'élancèrent en courant en colonnes serrées sur une lande découverte, et
enfoncèrent d'abord les bataillons ennemis.
Un tourbillon de fuyards entraîna Carrier à cheval, et le représentant
Merlin, brave et payant de sa personne, fit le service du canon; mais les
Mayençais accouraient la baïonnette en avant. Kléber, Marceau,
Beaupuy, Haxo, se multipliaient et donnaient l'exemple. Tout était
encore incertain sur le sort de la journée cependant, lorsque d'Elbée et
Bonchamp tombèrent grièvement blessés.
Alors la fortune se décida pour les Mayençais. Les Vendéens se
dispersèrent, emmenant néanmoins avec eux les prisonniers qu'ils

avaient faits au commencement de l'action.
Quatre jours après, le 18 du même mois, les bleus, marchant sur
Beaupréau, entendirent tout à coup les cris de:
--Vive la République! vive Bonchamp.
C'étaient quatre mille prisonniers qui revenaient vers leurs camarades.
Ils racontèrent que Bonchamp les avait délivrés avant de rendre le
dernier soupir: Bonchamp, en effet, étendu sur un matelas et expirant,
avait dit aux Vendéens, qui voulaient fusiller ces hommes:
--Grâce aux prisonniers! Bonchamp l'ordonne.
Puis il mourut. Bonchamp était l'homme le plus aimé, le plus vénéré de
l'armée royaliste depuis la mort de Cathelineau. Plus tard, Napoléon dit
qu'il en avait été le meilleur général.
Les Vendéens passèrent alors sur la rive droite de la Loire, et les
représentants écrivirent à la Convention: «La Vendée n'est plus!» Le
décret qui ordonnait de terminer la guerre avant la fin d'octobre était
donc exécuté dès le 18 du mois. Les Parisiens se livrèrent à un
enthousiasme sans pareil. Joie prématurée cependant. L'opinion de
Kléber, qui prétendait que tout n'était pas fini, devait l'emporter avec le
temps.
Moins de quinze jours après, on apprit que les Vendéens existaient
encore. Léchelle fut battu, Beaupuy mourut d'une balle en pleine
poitrine. Le commandement des «bleus» fut donné à Chalbos, et les
royalistes, prenant pour chef suprême La Rochejacquelein, avec
Stofflet sous ses ordres, attaquèrent Granville le 14 novembre. Ne
réussissant pas à prendre la place, ils furent vengés par leurs succès à
Pontorson, à Dol et à Anhain, qui rallumèrent leur ardeur prête à
s'éteindre. Les armées républicaines perdaient chaque jour du terrain
sous les ordres d'Antoine Rossignol, célèbre par ses continuels revers,
bien que le comité de Salut public l'appelât son «fils aîné». Ce fut alors
que, sur la proposition de Kléber, Marceau, à vingt-deux ans, devint
général en chef de l'armée républicaine.

Les luttes opiniâtres allaient recommencer plus terribles que jamais, car
la Bretagne vint à ce moment au secours de sa soeur la Vendée. Jean
Chouan, ou plutôt Jean Cottereau, puisqu'il est plus connu sous ce nom,
avait rejoint, avec ses bandes, l'armée de La Rochejacquelein à Laval,
et le prince de Talmont était arrivé avec un renfort de cinq mille
Manceaux. Cette fois, la guerre allait changer de nom, et se nommer
définitivement la «chouannerie».

II
LE PLACIS DE SAINT-GILDAS
Nous sommes en 1793, au mois de décembre, dans l'antique forêt de
Saint-Gildas. Les arbres, dénués de feuilles, révèlent la rigueur de
l'hiver; le ciel gris menace de laisser tomber sur la terre ce manteau
blanc que l'on nomme la neige, et que les savants nous ont appris être
les vapeurs d'un nuage qui, se réunissant en gouttelettes, passent par
des régions plus froides, se congèlent en petites aiguilles, et, continuant
de descendre, se rencontrent, s'émoussent, se pressent et s'entrelacent
pour former des flocons. Un vent du nord-ouest, froid et soufflant par
rafales, s'engouffre dans la forêt et la fait trembler jusque dans ses
profondeurs. Il est quatre heures du soir, et à cette époque de la saison,
le crépuscule du soir commence à assombrir cette partie de
l'hémisphère boréal où se trouve le vieux monde. La nuit va descendre
rapidement.
Longeant la rive gauche de la Vilaine, un homme vêtu du costume
breton, portant au chapeau la cocarde noire et sur la poitrine l'image du
sacré coeur, qui indique le chouan, se dirige vers la lisière de la
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