Le marquis de Loc-Ronan | Page 3

Ernest Capendu
aux douaniers. Leur
tactique était simple: se porter rapidement le long des haies et des
ravins sur les ailes de l'ennemi et les dépasser. Alors, se cachant
derrière les plus légers obstacles, ne tirant qu'à petite portée, et, grâce à
leur adresse, abattant un homme à chaque coup, ils devenaient pour les
troupes républicaines des assaillants aussi dangereux qu'invisibles.
Souvent une colonne se voyait décimée sans qu'il lui fût permis de
combattre l'ennemi qui l'accablait.
Quinze ans plus tard, les soldats de l'empire retrouvaient dans la
Catalogne un pendant à cette guerre d'extermination. Les guérilleros
avaient plus d'un point de ressemblance avec les Vendéens.
La seconde classe de l'armée royaliste était celle formée par les paysans
les plus déterminés et les plus exercés, militairement parlant, au
maniement du fusil. C'était la cohorte des braves, le bataillon sacré
toujours en avant, toujours le premier dans l'attaque et le dernier dans la
retraite. Tandis que la majorité d'entre eux se dressait en muraille
inébranlable en face de l'armée républicaine, une partie soutenait les
tirailleurs, et tous attaquaient sur la ligne l'ennemi; mais seulement

lorsque les ailes commençaient à plier.
Une compagnie de ce bataillon portait le nom terrible et symbolique de
«le Vengeur». Rendus promptement illustres par leurs exploits, les
héros du bataillon sacré ne marchaient que précédés de l'effroi qui
mettait les bleus en fuite sur leur sanglant passage. Le Vengeur devait
tomber anéanti, semblable au vaisseau son homonyme, sans laisser
debout un seul de ses hommes. C'était à Cholet que devait s'élever son
tombeau.
La troisième classe, composée du reste des paysans, la plupart mal
armés, s'établissait en une masse confuse autour des canons et des
caissons. La cavalerie, formée des hommes les plus intelligents et les
plus audacieux, servait à la découverte de l'ennemi, à l'ouverture de la
bataille, à la poursuite des vaincus et des fuyards, et surtout à la garde
du pays après la dispersion des soldats.
Quand les combattants se trouvaient réunis pour une expédition au lieu
qui leur avait été désigné, avant d'attaquer les bleus ou d'essuyer leur
charge, la troupe entière s'agenouillait dévotement, chantait un cantique,
et recevait l'absolution du prêtre qui, après avoir béni les armes, se
mêlait souvent dans les rangs pour assister les blessés ou exciter les
timides en leur montrant le crucifix.
La manière de combattre des Vendéens ne variait jamais. Pendant que
l'avant-garde se portait intrépidement sur le front de l'ennemi, tout le
corps d'armée enveloppait les républicains, et se dispersait à droite et à
gauche au commandement de: «Égaillez-vous, les gars!» Ce cercle
invisible se resserrait alors en tiraillant à travers les haies, et, si les
bleus ne parvenaient point à se dégager, ils périssaient tous dans
quelque carrefour ou dans quelque chemin creux.
Arrivés en face des canons dirigés contre eux, les plus intrépides
Vendéens s'élançaient en faisant le plongeon à chaque décharge.
«Ventre à terre, les gars!» criaient les chefs. Et se relevant avec la
rapidité de la foudre, ils bondissaient sur les pièces dont ils
s'emparaient en exterminant les canonniers.

Au premier pas des républicains en arrière, un cri sauvage des paysans
annonçait leur déroute. Ce cri trouvait à l'instant, de proche en proche,
mille échos effroyables, et tous, sortant comme une véritable
fourmilière des broussailles, des genêts, des coteaux et des ravins, de la
forêt et de la plaine, des marais et des champs de bruyère, se ruaient
avec acharnement à la poursuite et au carnage.
On comprend quel était l'avantage des indigènes dans ce labyrinthe
fourré du Bocage, dont eux seuls connaissaient les mille détours.
Vaincus, ils évitaient de même la poursuite des vainqueurs; aussi en
pareil cas, les chefs avaient-ils toutes les peines du monde à rallier leurs
soldats. Au reste, il ne fallait pas que la durée des expéditions dépassât
une semaine. Ce terme expiré, quel que fût le dénouement, le paysan
retournait à son champ, embrasser sa femme et _prendre une chemise
blanche_, quitte à revenir quelques jours après, avec une religieuse
exactitude, au premier appel de ses chefs. Le respect de ces habitudes
était une des conditions du succès: on en eut la preuve, lorsque, le
cercle des opérations s'élargissant, on voulut assujettir ces vainqueurs
indisciplinés à des excursions plus éloignées et à une plus longue
présence sous les armes.
Tout Vendéen fit d'abord la guerre à ses frais, payant ses dépenses de sa
bourse, et vivant du pain de son ménage. Plus tard, quand les châteaux
et les chaumières furent brûlés, on émit des bons au nom du roi; les
paroisses se cotisèrent pour les fournitures des grains, des boeufs et des
moutons. Les femmes apprêtaient le pain, et, à genoux sur les routes où
les blancs devaient passer, elles récitaient leur chapelet en attendant les
royalistes, auxquels elles offraient l'aumône de la foi.
Les paroisses armées communiquaient entre elles
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