depuis les croisades, on n'avait vu tant d'hommes se réunir si
spontanément. Les paysans s'étaient levés lentement, ainsi que l'avait
fait observer Boishardy; mais, une fois levés, ils marchèrent
audacieusement en avant.
Quatre chefs principaux, quatre noms qui resteront éternellement
soudés à l'histoire de cette malheureuse guerre, commandaient les
royalistes. Selon un historien contemporain, Bonchamp était la tête de
cette armée, dont Stofflet et La Rochejacquelein étaient les bras, dont
Cathelineau était le coeur.
On connaît les premiers efforts tentés dès 1791 par les gentilshommes
de Bretagne pour opposer une digue à l'influence révolutionnaire.
L'avortement de la conspiration de La Rouairie et la mort de ce chef
arrêtèrent momentanément l'explosion du vaste complot mûri dans
l'ombre. Mais si les bras manquaient encore, les têtes étaient prêtes, et
attendaient avec impatience un acte du gouvernement qui excitât les
esprits à la révolte. Le décret relatif à la levée des trois cent mille
hommes fut l'étincelle qui mit le feu aux poudres.
Le 10 mars 1793, jour fixé pour le tirage, la guerre commença sur tous
les points. Un coup de canon, tiré imprudemment dans la ville de
Saint-Florent-le-Vieux sur des conscrits réfractaires, porta la rage dans
tous les coeurs. Le soir même, six jeunes gens qui rentraient dans leur
famille, traversant le bourg de Pin-en-Mauge, furent accostés par un
homme qui leur demanda des nouvelles. Cette homme qui, les bras nus,
les manches retroussées, pétrissait le pain de son ménage, était un
colporteur marchand de laine, père de cinq enfants, et qui se nommait
Cathelineau. Faisant passer son indignation dans l'esprit de ses
auditeurs, il se met à leur tête, fait un appel aux gars du pays, recrute
des forces de métairie en métairie, et arrive le 14 à la Poitevinière.
Bientôt le tocsin sonne de clocher en clocher. A ce signal, tout paysan
valide fait sa prière, prend son chapelet et son fusil, ou, s'il n'a pas de
fusil, sa faux retournée, embrasse sa mère ou sa femme, et court
rejoindre ses frères à travers les haies.
Le château de Jallais, défendu par un détachement du 84e de ligne et
par la garde nationale de Chalonnes, est attaqué. Le médecin Rousseau,
qui commande, fait braquer sur les assiégeants une pièce de six; mais
les jeunes gens, improvisant la tactique qui leur vaudra tant de victoires,
se jettent tous à la fois ventre à terre, laissent passer la mitraille sur
leurs têtes, se relèvent, s'élancent, et enlèvent la pièce avec ses
artilleurs.
Ces premiers progrès donnent à la révolte d'énormes et rapides
développements qui viennent porter l'inquiétude jusqu'au sein de la
capitale. Le 19 mars, la Convention rend un décret dont l'article 6
condamne à mort les prêtres, les ci-devant nobles, les ci-devant
seigneurs, leurs agents ou domestiques, ceux qui ont eu des emplois ou
qui ont exercé des fonctions publiques sous l'ancien gouvernement ou
depuis la Révolution, pour le fait seul de leur présence en pays insurgé.
Cette sommation, si elle ne parvenait pas à étouffer la guerre, devait lui
donner un caractère ouvertement politique. C'est ce qui arriva.
Charette, La Rochejacquelein, La Bourdonnaie, de Lescure, d'Elbée,
Bonchamp, Dommaigné, Boishardy, Cormatin, Chantereau, se mirent
rapidement à la tête des révoltés, les uns habitant la Vendée, les autres
arrivant à la hâte de Bretagne. Les ordres de rassemblement, distribués
de tous côtés, portaient:
«Au saint nom de Dieu, de par le roi, la paroisse de *** se rendra tel
jour, à tel endroit, avec ses armes et du pain.»
Là, on s'organisait par compagnie et par clocher. Chaque compagnie
choisissait son capitaine par acclamation: c'était d'ordinaire le paysan
connu pour être le plus fort et le plus brave. Tous lui juraient
l'obéissance jusqu'à la mort. Ceux qui avaient des chevaux formaient la
cavalerie. L'aspect de ces troupes était des plus étranges: c'étaient des
hommes et des chevaux de toutes tailles et de toutes couleurs; des selles
entremêlées de bâts; des chapeaux, des bonnets et des mouchoirs de
tête; des reliques attachées à des cocardes blanches, des cordes et des
ficelles pour baudriers et pour étriers. Une précaution qu'aucun
n'oubliait, c'était d'attacher à sa boutonnière, à côté du chapelet et du
sacré coeur, sa cuiller de bois ou d'étain. Les chefs n'avaient guère plus
de coquetterie: les capitaines de paroisse n'ajoutaient à leur costume
villageois qu'une longue plume blanche fixée à la Henri IV sur le bord
relevé de leur chapeau.
La masse des combattants vendéens se divisait en trois classes. La
première se composait de gardes-chasse, de braconniers, de
contrebandiers, tous ayant une grande habitude des armes, pour la
plupart tireurs excellents, et en grande partie armés de fusils à deux
coups et de pistolets. C'était là le corps des éclaireurs, l'infanterie légère,
les tirailleurs. Sans officiers pour les commander, ils faisaient la guerre
comme ils avaient fait la chasse au gibier ou
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