diverses circonstances qui concordaient
avec une exactitude surprenante; par exemple, que le père de Barbe
n'avait vécu que quatre ans dix mois de plus que le père de Kit; que l'un
était mort un mercredi et l'autre un jeudi; que tous deux étaient de
bonne façon et de bonne mine, sans compter d'autres coïncidences
extraordinaires. Ces souvenirs étant de nature à jeter un voile de
tristesse sur la gaieté d'un jour de fête, Kit ramena la conversation à des
sujets généraux, comme la beauté merveilleuse de Nell, dont il avait
parlé à Barbe plus de mille fois déjà. Mais cette circonstance fut loin
d'exciter chez les assistants l'intérêt que Kit avait supposé. Sa mère dit
même, en regardant Barbe en même temps, par hasard sans doute, que
miss Nell était assurément fort jolie, mais que ce n'était qu'une enfant,
après tout, et qu'il y avait bien des jeunes femmes aussi jolies qu'elle;
Barbe, de son côté, fit observer doucement qu'elle pensait de même et
qu'elle ne pouvait s'empêcher de croire que M. Christophe fût dans
l'erreur; assertion contre laquelle Kit se récria, ne concevant pas quelle
raison elle avait de douter de ce qu'il disait. La mère de Barbe dit aussi
qu'on voyait souvent une jeunesse changer vers quatorze ou quinze ans,
et après avoir été d'abord très-belle, devenir tout à coup très-ordinaire;
vérité qu'elle appuya d'exemples mémorables. Elle cita entre autres un
maçon de grande espérance, qui même avait eu pour Barbe des
attentions suivies, mais Barbe n'y avait pas répondu, et vraiment,
quoiqu'elle ne voulût pas la contrarier là-dessus, elle ne pouvait pas
s'empêcher de dire que c'était dommage. Kit fut de l'avis de la mère, et
il le disait sincèrement, s'étonnant de voir Barbe devenir toute sérieuse
depuis ce temps-là, et le regarder comme pour lui dire qu'il aurait aussi
bien fait de se taire.
Cependant l'heure était arrivée de songer au spectacle, pour lequel on
avait fait de grands préparatifs en châles et chapeaux, sans compter un
mouchoir plein d'oranges et un autre rempli de pommes qu'ils eurent
quelque peine à nouer, car ces fruits rebelles avaient une tendance à
s'échapper par les coins. Enfin, tout étant prêt, ils partirent d'un bon pas.
La mère de Kit tenait à la main le plus petit des enfants qui était
terriblement éveillé; Kit conduisait le petit Jacob et donnait le bras à
Barbe; ce qui faisait dire aux deux mères qui venaient par derrière qu'ils
semblaient tous ne faire qu'une seule et même famille. Barbe rougit et
s'écria: «Finissez donc, maman.» Mais Kit lui dit qu'elle ne devait pas
se mêler de ce que disaient ces dames; et en vérité elle eût aussi bien
fait de ne pas y prendre garde, si elle eût su combien il était loin de
songer à lui faire la cour. Pauvre Barbe!
Enfin, ils arrivèrent au théâtre; c'était le cirque d'Astley. À peine se
trouvaient-ils depuis deux minutes devant la porte fermée encore, que
le petit Jacob fut rudement pressé, que le poupon reçut plusieurs
meurtrissures, que le parapluie de la mère de Barbe fut emporté à vingt
pas et lui revint par-dessus les épaules de la foule, que Kit frappa un
individu sur la tête avec le mouchoir rempli de pommes, pour avoir
poussé violemment sa mère, et qu'il s'éleva à ce sujet une vive rumeur.
Mais lorsqu'ils eurent passé le contrôle et se furent frayé un chemin, au
péril de leur vie, avec leurs contre-marques à la main; lorsqu'ils furent
bel et bien dans la salle, assis à des places aussi bonnes que s'ils les
eussent retenues d'avance, toutes les fatigues précédentes furent
considérées comme un jeu, peut-être même comme une partie
essentielle des plaisirs du spectacle.
Mon Dieu! mon Dieu! qu'il leur parut beau, ce théâtre d'Astley! avec
ses peintures, ses dorures, ses glaces, avec la vague odeur de chevaux
qui faisait pressentir les merveilles dont on allait jouir; avec le rideau
qui cachait de si prodigieux mystères, la sciure de bois blanc
fraîchement semée dans le cirque, la foule entrant et prenant ses places,
les musiciens qui regardaient les spectateurs avec indifférence tout en
accordant leurs instruments, comme s'ils n'avaient pas besoin de voir le
spectacle pour commencer et comme s'ils savaient la pièce par coeur!
Quel éclat se répandit partout autour d'eux lorsque la longue et
lumineuse rangée des quinquets de la rampe monta lentement! et quel
transport fébrile quand la petite sonnette retentit et que l'orchestre
attaqua vivement l'ouverture avec roulement de tambours et
accompagnement harmonieux de triangle! La mère de Barbe dit avec
raison à la mère de Kit que la galerie était le meilleur endroit pour bien
voir, et s'étonna de ce que les places n'y coûtaient pas beaucoup plus
cher que celles des loges. Dans l'excès de son plaisir, Barbe ne savait si
elle devait
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