Le magasin dantiquités, Tome II | Page 8

Charles Dickens
rire ou pleurer.
Et le spectacle donc, ce fut bien autre chose! Les chevaux, que le petit
Jacob reconnut tout de suite pour être en vie; et les dames et les
messieurs, à la réalité desquels rien ne put jamais le faire croire, parce
qu'il n'avait rien vu ni entendu de sa vie qui leur ressemblât; les pièces
d'artifice qui firent fermer les yeux à Barbe; la Dame abandonnée, qui
la fit pleurer; le Tyran, qui la fit trembler; l'homme qui chanta une
chanson avec la suivante de la Dame et dansa au refrain, ce qui fit rire
Barbe; le poney qui se dressa sur ses jambes de derrière, à l'aspect du
meurtrier, et ne voulut pas marcher sur ses quatre pieds avant que le

coupable eût été arrêté; le Clown qui se permit des familiarités avec le
militaire en bottes à l'écuyère; la Dame qui s'élança par-dessus
vingt-neuf rubans et tomba saine et sauve sur un cheval; tout était
délicieux, splendide, surprenant. Le petit Jacob applaudissait à s'en
écorcher les mains; il criait: «Encore!» à la fin de chaque scène, même
quand les trois actes de la pièce furent terminés; et la mère de Barbe,
dans son enthousiasme, frappa de son parapluie sur le plancher, au
point d'user le bout jusqu'au coton.
Malgré cela, au milieu de ces tableaux magiques, les pensées de Barbe
semblaient la ramener encore à ce que Kit avait dit au moment où on
prenait le thé. En effet, tandis qu'ils revenaient du théâtre, elle demanda
au jeune homme, avec un sourire tendre, si miss Nell était aussi jolie
que la dame qui avait sauté par-dessus les rubans.
«Aussi jolie que celle-là! dit Kit. Deux fois plus jolie.
-- Oh! Christophe, dit Barbe, je suis sûre que cette dame est la plus
belle créature qu'il y ait au monde.
-- Quelle bêtise! répliqua-t-il. Elle n'est pas mal, je ne le nie pas; mais
songez comme elle était peinte et bien habillée, et quelle différence cela
fait. Tenez, vous, Barbe, vous êtes beaucoup mieux qu'elle.
-- Oh! Christophe!... murmura Barbe en baissant les yeux.
-- Oui, vous êtes mieux que ça tous les jours, votre mère aussi.»
Pauvre Barbe!
Mais qu'est-ce que tout cela, oui, tout cela, en comparaison de la
prodigalité folle de Kit, lorsqu'il entra dans une boutique d'huîtres avec
autant d'aplomb que s'il y eût eu son domicile et, sans daigner regarder
le comptoir ni l'homme qui y était assis, conduisit sa société dans un
cabinet, un cabinet particulier, garni de rideaux rouges, d'une nappe et
d'un porte-huilier complet, et qu'il ordonna à un gentleman qui avait
des favoris et qui, en qualité de garçon, l'avait appelé lui Christophe
Nubbles «Monsieur», d'apporter trois douzaines de ses plus grandes

huîtres et de se dépêcher! Oui, Kit dit à ce gentleman de se dépêcher; et
non-seulement le gentleman répondit qu'il allait se dépêcher, mais il le
fit et revint en courant apporter les pains les plus tendres, le beurre le
plus frais et les plus grandes huîtres qu'on eût jamais vues. Alors Kit dit
à ce gentleman:
«Un pot de bière!» juste sur le même ton; et le gentleman, au lieu de
répondre:
«Monsieur, est-ce à moi que vous parlez?» se borna à dire:
«Pot de bière, monsieur? oui, monsieur,» et étant revenu l'apporter, il le
plaça dans une sébile semblable à celle que les chiens d'aveugles
tiennent à leur gueule par les rues pour y recevoir un sou; aussi, quand
il sortit, la mère de Kit et la mère de Barbe déclarèrent d'une voix
commune qu'elles n'avaient jamais vu un jeune homme plus avenant et
plus gracieux.
On se mit alors à souper de bon appétit; et voilà que Barbe, cette petite
folle de Barbe, dit qu'elle ne pourrait pas manger plus de deux huîtres;
tout ce qu'on obtint d'elle avec des efforts incroyables, ce fut qu'elle en
mangeât quatre. En revanche, sa mère et celle de Kit s'en acquittèrent à
merveille: elles mangèrent, rirent et s'amusèrent si bien que Kit, rien
qu'à les voir, se mit à rire et manger de même façon par la force de la
sympathie. Mais ce qu'il y eut de plus prodigieux dans cette nuit de fête,
ce fut le petit Jacob qui absorbait les huîtres comme s'il était né et venu
au monde pour cela; il y versait le poivre et le vinaigre avec une
dextérité au-dessus de son âge, et finit par bâtir une grotte sur la table
avec les écailles. Il n'y eut pas jusqu'au poupon qui, de toute la soirée,
ne ferma pas l'oeil, restant là paisiblement assis, s'efforçant de fourrer
dans sa bouche une grosse orange et regardant avec satisfaction la
lumière du gaz. Vraiment, à le voir sur les genoux de sa mère,
très-occupé de contempler le gaz qui ne le faisait point sourciller,
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