Le magasin dantiquités, Tome I | Page 4

Charles Dickens
cette
lumière approchait très- lentement, celui qui la portait ayant à se frayer
un chemin parmi une grande quantité d'objets épars et confus, cette
circonstance me permit de voir à la fois, quelle était la nature de la
personne qui s'avançait et du lieu dans lequel elle cheminait.
C'était un petit vieillard aux longs cheveux gris. Tandis qu'il élevait la
lumière au-dessus de sa tête et regardait en avant à mesure qu'il
approchait, je pus distinguer parfaitement ses traits et sa physionomie.
Malgré les ravages produits par l'âge, il me sembla reconnaître dans ses
formes grêles et maigres quelque chose de la forme svelte et souple que
j'avais remarquée chez l'enfant. Il y avait certainement de l'analogie
dans leurs yeux bleus brillants; mais le vieillard était tellement ridé par
l'âge et les chagrins, que là s'arrêtait toute ressemblance.
La salle qu'il traversait à pas lents était un de ces réceptacles d'objets
curieux et antiques qui semblent se cacher dans les coins les plus
bizarres de notre ville, et, par jalousie et méfiance, dérober leurs trésors
moisis aux regards du public. Il y avait là des assortiments de cottes de
mailles, toutes droites et figurant des fantômes de chevaliers armés; il y
avait des bas-reliefs fantastiques empruntés aux cloîtres des moines
d'autrefois; il y avait diverses sortes d'armes rouillées; il y avait des
figures contournées en porcelaine, en bois et en fer; il y avait des
ouvrages d'ivoire; il y avait des tapisseries et des meubles étranges,
dont le dessin paraissait dû à la fièvre des rêves. La physionomie égarée
du petit vieillard était merveilleusement en harmonie avec la localité.
Cet homme devait être allé à tâtons parmi les vieilles églises, les
tombes et les maisons abandonnées, pour en recueillir les dépouilles de
ses propres mains. Dans toute sa collection, il n'y avait rien qui ne fût

en parfaite analogie avec lui, rien qui fût plus que lui vieux et délabré.
Tout en tournant la clef dans la serrure, il me contemplait avec une
surprise qui fut loin de diminuer lorsque son regard se porta de moi sur
ma compagne de route. La porte s'ouvrit, et l'enfant, s'adressant à son
grand-père, lui raconta la petite histoire de notre rencontre.
«Dieu te bénisse! s'écria le vieillard en passant la main sur la tête de
l'enfant; comment se fait-il que tu aies pu t'égarer en chemin? O Nell, si
je t'avais perdue!
-- Grand-père, répondit avec fermeté la petite fille, j'eusse retrouvé mon
chemin pour revenir vers vous, n'ayez pas peur.»
Le vieillard l'embrassa; puis il se tourna de mon côté et m'invita à
entrer, ce que je fis. La porte fut fermée de nouveau à double tour. Mon
hôte, me précédant avec son flambeau, me conduisit, à travers la salle
que j'avais déjà contemplée du dehors, dans une petite pièce située
derrière: là se trouvait une autre porte ouvrant sur une sorte de cabinet
où je vis un lit en miniature qui eût bien convenu à une fée, tant il était
exigu et gentiment arrangé. L'enfant prit une lumière et se retira dans la
petite chambre, me laissant avec le vieillard.
«Vous devez être fatigué, monsieur, me dit-il en approchant pour moi
une chaise du feu. Comment pourrais-je vous remercier?»
Je répondis:
«En ayant une autre fois plus de soin de votre petite-fille, mon bon ami.
-- Plus de soin!... répéta le vieillard d'une voix aigre; plus de soin de
Nelly!... Qui jamais a aimé une enfant comme j'aime ma Nell?»
Il prononça ces paroles avec une surprise si manifeste, que je me
trouvai fort embarrassé pour répondre, d'autant plus que, s'il y avait
dans ses manières quelque chose de heurté et d'égaré, ses traits offraient
les indices d'une pensée profonde et triste, d'où je conclus que,
contrairement à ma première impression, ce n'était ni un radoteur ni un

imbécile.
«Je ne crois pas, lui dis-je, que vous ayez assez souci de votre enfant.
-- Moi! je n'en ai pas souci!... s'écria le vieillard en m'interrompant. Ah!
que vous me jugez mal!... Ma petite Nelly! ma petite Nelly!»
Nul homme, quelques paroles qu'il employât, ne pourrait montrer plus
de tendresse que n'en montra dans ce peu de mots le marchand de
curiosités. J'attendis qu'il parlât de nouveau; mais il appuya le menton
sur sa main, et, secouant deux ou trois fois la tête, il tint ses yeux fixés
sur le foyer.
Tandis que nous gardions ainsi le silence, la porte du cabinet s'ouvrit, et
l'enfant reparut. Ses fins cheveux bruns tombaient épars sur son cou, et
son visage était animé par l'empressement qu'elle avait mis à venir nous
rejoindre. Sans perdre un instant, elle s'occupa des préparatifs du
souper. Pendant qu'elle se livrait à ce soin, je remarquai que le vieillard
profitait de l'occasion pour m'examiner plus à fond qu'il ne l'avait fait
d'abord.
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