parce qu'elle ne m'aime pas,
parce qu'elle ne veut plus de moi?
--Je ne lui demanderai pas, dit la douairière, son sentiment.... Mais je
lui dirai qu'elle ne peut pas vous épouser, et elle m'obéira....
--C'est donc, fis-je, tout l'être criant de douleur, que vous me trouvez
indigne?
--Je n'ai rien, déclara-t-elle, à dire à ce sujet, mais....
Elle se leva comme pour me congédier.
Alors, je vis tout tourner autour de moi....
Il me semblait que la terre allait s'effondrer....
Je m'écroulai à genoux....
--Ah! madame, m'écriai-je, avec un accent de détresse qui aurait
attendri un roc, mais qui la laissa insensible ... ayez pitié de moi!...
Vous savez combien j'aime Laurence, quels rêves j'ai faits!... C'est
attenter à ma vie que de me l'enlever maintenant, que de m'en séparer,
car sûrement j'en mourrai!... Dites-moi au moins pourquoi vous revenez
sur votre parole.... Si c'est par ma faute ... parce que je vous ai déplu, et
que vous avez quelque reproche à me faire, je tâcherai de racheter ma
défaillance par une vie de dévouement, de sacrifices, de....
Je m'arrêtai.
Je ne savais plus ce que je disais....
Des larmes grosses comme le doigt roulaient dans mes yeux.
Madame de Frémilly était toujours debout, se dirigeant vers la porte.
Je voyais qu'elle faisait des efforts pour rester insensible. Et avec sa
haute taille ... sa pâleur ... son grand air de dignité hautaine, elle avait
l'air d'une impérieuse et inflexible statue ... justicière d'une faute que
j'ignorais ... et que j'ignore encore.
Je compris que je ne la toucherais pas, que j'aurais avec plus d'espoir
imploré un marbre et que je ne saurais rien.
Ses yeux, son geste, tout son être me poussaient dehors.
Je ne résistai plus. Et je sortis.
Je sentais que j'allais m'évanouir de douleur.
La porte franchie, je demeurai un moment étourdi, comme assommé,
puis je me décidai à descendre; comme je te l'ai dit, j'ai songé tout
d'abord à me noyer, puis j'ai pensé à toi, à ton amitié....
--Que puis-je faire?
--Voir madame de Frémilly, l'interroger sur les raisons de cette
singulière rupture qui me brise à la fois le corps et l'âme. Voir
mademoiselle de Frémilly ... lui apprendre ... et savoir si elle approuve
la conduite de sa grand'mère, si elle aussi me rejette.
--Je les verrai, dit le gros Mareuil, ému, aujourd'hui même, je te le
promets; à moins....
--A moins?...
--A moins qu'elles ne me reçoivent pas.
--Pour quel motif?
--Je ne sais pas.... Mais je ferai mon possible pour les voir ... pour leur
parler.
--Après, fit Jacques, si je n'ai plus rien à espérer....
Un geste significatif compléta sa phrase.
Mareuil ne le releva pas.
Il se sentait impuissant devant un pareil abattement, un si complet
effondrement d'un être qu'il croyait fort.
Le feu s'éteignait. Une lueur de jour pâlissait les fenêtres.
--Tu devrais, dit Mareuil, te reposer un peu.
--Me reposer! murmura Jacques de Brécourt.
Et il jeta à son ami un regard si plein d'angoisse et qui disait si
clairement qu'il n'y avait plus pour lui de repos et de calme, que
Mareuil frissonna.
--Ah! l'amour! l'amour! fit-il pour cacher son émotion.
Et il ne parla plus.
Il laissa Jacques, qui s'était jeté sur un canapé, plongé dans ses
réflexions, abîmé dans sa douleur sans nom.
III
Au cours de la journée qui avait précédé ce que Jacques de Brécourt
appelait une catastrophe--et la plus terrible, la plus complète des
catastrophes--au cours de cette journée, la baronne douairière de
Frémilly--car madame de Frémilly était baronne, bien qu'elle portât
rarement son titre--était seule dans le petit salon où elle avait coutume
de recevoir, avec sa fille, Jacques de Brécourt--un petit salon Louis
XVI un peu fané, mais qui avait été fort luxueux et que Laurence ornait
en toutes saisons de fleurs fraîches,--quand une des servantes vint la
prévenir qu'une dame désirait lui parler tout de suite en particulier.
Madame de Frémilly posa sur un petit meuble le livre qu'elle lisait et
demanda:
--A-t-elle dit son nom?
--Non, madame la baronne; elle prétend que c'est inutile, que madame
la baronne ne la connaît pas, mais qu'elle a des choses urgentes à dire à
madame la baronne, et que madame la baronne ne sera pas fâchée de
connaître.... C'est une dame très bien ... tout en noir ... qui a le visage
fort triste.
Madame de Frémilly pensa que c'était peut-être quelque solliciteuse qui
avait besoin de ses services.
Et elle demanda:
--Où est Laurence?
--Mademoiselle est dans son atelier, en train de dessiner.
--Fais entrer cette dame, dit la baronne. Et elle attendit la visiteuse.
--Celle-ci se montra bientôt.
Elle entra avec hésitation, paraissant fort timide.
Elle semblait jeune, assez jolie, le regard humble et triste, et ses
vêtements noirs faisaient ressortir davantage la blancheur de son teint
qui était
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