que dans mon coeur s'est glissé l'espoir de lui plaire un
jour, je me serais regardé comme le dernier des misérables, si je n'avais
renoncé à tout ce qui avait été jusqu'ici un plaisir pour moi. Je n'avais
plus qu'un plaisir: la voir.... Et il n'y avait plus pour moi qu'une lumière:
celle qui tombait de ses yeux.
Madame de Frémilly approuva encore mes paroles et dit:
--Je vous crois.... Je crois à votre repentir.... Vous pouvez vous
considérer, à partir de ce soir, comme le promis, le fiancé de Laurence.
--Ah! s'écria Jacques, quand j'entendis cette parole ... te dire ce que je
ressentis ... c'est impossible.... J'étais comme foudroyé ... foudroyé de
bonheur....
Le promis, le fiancé, moi ... et de Laurence!...
Je tombai à genoux.
Je saisis le bas de la robe de madame de Frémilly et je l'embrassai avec
des transports insensés.
Mareuil se leva.
C'était trop pour lui.
Il jeta dans le feu son cigare qui venait de s'éteindre.
Et il dit:
--Toi, Brécourt?
--Moi, Brécourt.
--Franchement, je ne l'aurais jamais cru.
--Et pourquoi?
--Parce que je te croyais incapable....
--D'aimer?
--De pousser la folie....
--Où ne l'aurais-je pas poussée?... Le promis de Laurence! Son mari
bientôt.... As-tu songé aux délices que cela me promettait? Aux félicités
surhumaines?
--Certainement, Laurence est jolie.
--Ce n'est pas parce qu'elle est jolie que j'étais fou, mais parce que je
l'aime. Tu ne comprendras jamais cela, Mareuil, car tu ne l'aimes pas,
toi, tu n'aimes pas.
--Et je n'y tiens guère, si l'amour devait me rendre aussi insensé.
Il se fit un silence.
Jacques de Brécourt semblait tout à son extase. On eût dit qu'il avait
devant lui la vision de l'image radieuse qu'il venait d'évoquer et que son
être tout entier adorait.
Jamais amour si sincère, si ardent et si pur n'avait peut-être encore
embrasé une âme humaine.
Malgré son indifférence et son scepticisme même, le gros Mareuil en
était frappé, et loin d'être disposé, comme tout à l'heure, à railler son
ami, il était bien près de l'envier.
L'amour est donc chose si belle et procure-t-il de telles joies?
Mais tout à coup, la physionomie de Jacques de Brécourt s'assombrit et
il dit:
--Voilà où j'en étais, dans quelles délices supraterrestres je nageais,
sachant le mariage prochain, le jour presque fixé, quand ce soir, il y a
quelques heures, madame de Frémilly, comme le soir où elle m'avait dit
de rester pour m'ouvrir le ciel, me fit encore, au moment où Laurence
nous quittait, le même signe, à peine perceptible, mais cette fois pour
me plonger dans les horreurs et les ténèbres de l'enfer. Je ne me doutais
naturellement pas de ce qu'elle avait à me dire, et je croyais qu'il
s'agissait de quelque dernier détail à régler, d'une clause du contrat
peut-être à fixer et qu'elle ne voulait pas débattre devant Laurence, et je
revins, après avoir conduit Laurence jusqu'au seuil de la porte,
m'asseoir à la place que j'occupais, sans l'ombre d'une appréhension, et
les yeux encore tout éblouis de la beauté de celle que je venais de
quitter.
Un mot de madame de Frémilly arrêta sur mes lèvres le sourire heureux
qui s'y épanouissait, éteignit dans mes yeux la lumière qui y brillait.
--Il faut, me dit-elle brusquement, et dès que nous fûmes seuls,
renoncer à nos projets, monsieur de Brécourt.
Je la regardai.
Je ne comprenais pas.... Je n'osais pas comprendre. Et pourtant, un
frisson avait parcouru mon corps et glacé tout mon sang.
Je demandai:
--Quels projets?
--Votre mariage avec Laurence, avec ma petite-fille.
Je jetai un cri.
J'aurais vu la terre s'entr'ouvrir, la foudre tomber à mes pieds, que je
n'aurais pas été plus saisi.
Je m'écriai:
--Ai-je bien entendu?
--Oui, monsieur de Brécourt, vous avez bien entendu.
--Renoncer à Laurence, moi?
--Il le faut.
--Jamais, madame, jamais!
Je m'étais levé. J'allais et venais à travers le salon, comme un fou. Le
sang bourdonnait maintenant à mes temps. Je ne voyais plus. Je croyais
m'agiter au milieu d'un rêve, dans un monstrueux et horrible
cauchemar.
Je voulais parler. La voix s'arrêtait dans mon gosier desséché.
Je pus cependant bégayer quelques mots à peine compréhensibles.
--Mais, madame, vous ne pensez pas....
--Si, monsieur, dit la grand'mère, inflexible, et qui semblait, froide et
ferme comme un roc.... J'ai bien réfléchi et ma décision est désormais
irrévocable.--
J'eus un cri d'angoisse.
--Mais pourquoi?...
--Ne me forcez pas, dit-elle, à vous faire connaître mes raisons....
D'ailleurs, je ne les dirai pas.... Mais elles sont des plus sérieuses, et il
le fallait, croyez-le bien, pour que je me décidasse à vous causer une
telle peine et peut-être à Laurence un tel chagrin.
En entendant ces dernières paroles, un peu d'espoir rentra dans mon
âme.
--Laurence ne sait donc pas? interrogeai-je.
--Laurence ne sait rien.
--Ce n'est donc pas, demandai-je encore,
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