Le loup blanc | Page 8

Paul H. C. Féval
La Tremlays. Nicolas Treml, abritant de la main la flamme de la lampe, descendit le grand escalier et se rendit à la salle d'armes où reposait Jude Leker, son écuyer.
Il l'éveilla et lui fit signe de le suivre.
Jude obéit aussit?t en silence.
M. de La Tremlays remonta d'un pas rapide les escaliers du chateau, traversa de nouveau les corridors et fit entrer Jude dans une petite pièce de forme octogonale qu'il avait choisie pour sa retraite, au premier étage d'une tourelle.
Lorsque Jude fut entré, M. de La Tremlays ferma la porte à clef.
L'honnête écuyer n'avait point coutume de provoquer la confiance de son ma?tre. Quand Nicolas Treml parlait Jude écoutait avec respect, mais il ne faisait jamais de questions.
Cette fois, pourtant, la conduite du vieux seigneur était si étrange, sa physionomie portait le cachet d'une résolution si solennelle, que l'écuyer ne put réprimer sa curiosité.
--Vous n'avez pas votre figure de tous les jours, notre monsieur... commen?a-t-il.
Nicolas Treml lui imposa silence d'un geste et fit jouer la serrure d'une armoire scellée dans le mur.
De cette armoire, il tira un coffret de fer vide qu'il mit entre les mains de Jude.
Ensuite, prenant, au fond d'un compartiment secret, de pleines poignées d'or il les empila méthodiquement dans le coffret, comptant les pièces une à une.
Cela dura longtemps, car il compta cent mille livres tournois.
Jude n'en pouvait croire ses yeux et se creusait la tête pour deviner le motif de cette conduite extraordinaire.
Quand il y eut dans le coffret cent mille livres bien comptées, Nicolas Treml le ferma d'un double cadenas.
--Demain, dit-il, presque à voix basse et calme, tu chargeras cette cassette sur un cheval, sur ton meilleur cheval, et tu iras m'attendre, avant le lever du soleil, à la Fosse-aux-Loups.
Jude s'inclina.
--Avant de partir, reprit M. de La Tremlays, tu prieras monsieur mon cousin de Vaunoy de se rendre auprès de moi. Va!
Jude se dirigea vers la porte.
--Attends! poursuivit encore Nicolas Treml: tu t'habilleras comme on fait lorsqu'on ne doit point revenir au logis de longtemps. Tu t'armeras comme pour une bataille où il faut mourir. Tu diras adieu à ceux que tu aimes. As-tu fait ton testament?
--Non, répondit Jude.
--Tu le feras, continua M. de La Tremlays.
Jude fit un signe d'obéissance et emporta la cassette.

III Le dép?t
Nicolas Treml ne dormit point cette nuit-là. Le lendemain, avant le jour, il entendit dans la cour le pas du cheval de Jude. Presque au même instant la porte de sa chambre s'ouvrit et Hervé de Vaunoy parut sur le seuil. Ma?tre Hervé n'avait plus cet air humble et craintif dont nous l'avons vu s'affubler en entrant au chateau pour la première fois. Son sourire s'épanouissait maintenant, joyeux, sur sa lèvre. Il portait le front haut et affectait les dehors d'une franchise brusque, à peine tempérée par le respect.
--Saint-Dieu! dit-il en arrivant, vous êtes matinal, monsieur mon très cher cousin. J'étais encore à mon premier somme lorsqu'on est venu me réveiller de votre part...
Il s'arrêta tout à coup en apercevant le sévère et pale visage de Nicolas Treml, dont l'oeil per?ant tombait d'aplomb sur son oeil et semblait vouloir descendre jusqu'au fond de sa conscience.
--Qu'y a-t-il? murmura-t-il avec un involontaire effroi.
Nicolas Treml lui montra du doigt un siège; il s'assit.
--Hervé, dit le vieux gentilhomme d'une voix lente et tristement accentuée, quand Dieu m'a repris mon fils, vous étiez un pauvre homme faible, vous souteniez une lutte inégale contre moi qui suis fort. Vous alliez être écrasé...
--Vous avez été généreux, mon noble cousin, interrompit Vaunoy qui se sentait venir une vague inquiétude.
--Serez-vous reconnaissant? reprit le vieillard.
Vaunoy se leva et lui saisit la main qu'il porta vivement à ses lèvres.
--Saint-Dieu! monsieur, s'écria-t-il, je suis à vous corps et ame!
Nicolas Treml fut quelque temps avant de reprendre la parole. Son regard ne se détachait point de Vaunoy.
--Je crois, dit-il enfin; je veux vous croire. Aussi bien, il n'est plus temps d'hésiter; ma résolution est prise. écoutez.
M. de La Tremlays s'assit auprès de Vaunoy et poursuivit:
--Je vais partir pour ne point revenir peut-être... ne m'interrompez pas... Ma route sera longue, et au bout de la route je trouverai un ab?me. La Providence protège-t-elle encore le pays breton? Mon espoir est faible, et ma ferme croyance est que je vais à la mort.
--à la mort? répéta Vaunoy sans comprendre.
--à la mort! s'écria le vieillard dont un soudain enthousiasme illumina le visage; n'avez-vous jamais désiré mourir pour la Bretagne, vous monsieur de Vaunoy?
--Saint-Dieu! mon cousin il est à croire que cette idée a pu me venir une fois ou l'autre, répondit Hervé à tout hasard.
--Mourir pour la Bretagne! mourir pour une mère opprimée, monsieur, n'est-ce pas là le devoir d'un gentilhomme et d'un Breton?
--Si fait, ah! Saint-Dieu, je crois bien! mais...
--Le temps presse, interrompit Nicolas Treml, et mon projet n'est point d'entrer dans d'inutiles explications. Quand je ne serai plus là, Georges aura besoin d'un
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