Le loup blanc | Page 6

Paul H. C. Féval
on pensait à part soi que le petit homme pouvait bien n'être point si bon qu'il voulait para?tre.
Chemin faisant, il inspecta le manoir de Bou?xis, qu'il trouva très à son gré, et les fermes, métairies et tenures, qui lui parurent bien en point, et les bois dont il admira cordialement la belle venue. Pendant cela, son sourire vainqueur ne le quittait point. On e?t dit que le petit homme se voyait déjà dans l'avenir propriétaire et seigneur de toutes ces belles choses.
Mais ce qui le flatta le plus, ce fut le chateau de La Tremlays lui-même. à la vue de ce cher édifice qui ouvrait sur une immense avenue sa grande porte écussonnée, Hervé de Vaunoy arrêta son cheval de charrette et ne put retenir un cri d'allégresse.
--Saint-Dieu! murmura-t-il tout ému, notre maison de Vaunoy tiendrait avec ses étables, écuries et pigeonniers sous le portail de ce noble chateau. Il faudrait que M. Nicolas Treml, mon cousin, e?t l'ame bien dure pour ne point me donner un g?te en quelque coin; et quand on a pied dans quelque coin, talent et bonne volonté, tout le reste y passe!
Il souleva le lourd marteau de la porte et mit de c?té son sourire pour prendre un air humble et décemment réservé.
M. de La Tremlays était assis sous le manteau de la haute cheminée dans la salle à manger. à son c?té, un grand et beau chien de race sommeillait indolemment. Dans un coin, le petit Georges, agé de quatre ans alors, jouait sur les genoux de sa nourrice. On annon?a Hervé de Vaunoy.
Le vieux seigneur se tourna lentement vers le nouveau venu et le chien, se dressant sur ses quatre pattes, poussa un sourd grognement.
--Paix, Loup, dit M. de La Tremlays.
Le chien se recoucha sans quitter des yeux le seuil où Hervé se tenait découvert et respectueusement incliné.
M. de La Tremlays continuait d'examiner ce dernier en silence.
Au bout de quelques minutes, il parut prendre tout à coup une résolution et se leva.
--Approchez, monsieur mon cousin, dit-il avec une brusque courtoisie; vous êtes le bienvenu au chateau de nos communs ancêtres.
Hervé ne put retenir un mouvement de joie en voyant sa parenté, à laquelle il ne croyait guère lui-même, si t?t et si aisément reconnue. Sur un geste du vieux seigneur, il prit place sous le manteau de la cheminée.
L'entrevue fut courte et décisive.
--J'espère, monsieur de Vaunoy, dit Nicolas Treml, que vous êtes un vrai Breton!
--Oui, Saint-Dieu! mon cousin, répondit Hervé, un vrai Breton, tout à fait!
--Déterminé à donner sa vie pour le bien de la province?
--Sa vie et son sang, monsieur mon cousin de La Tremlays! ses os et sa chair! Détestant la France, Saint-Dieu! abhorrant la France, monsieur mon digne parent! prêt à dévorer la France d'un coup de dent si elle n'avait qu'une bouchée!
--à la bonne heure! s'écria Nicolas Treml enchanté. Touchez-là, Vaunoy, mon ami. Nous nous entendrons à merveille, et mon petit-fils Georges aura un père en cas de malheur.
Hervé fut installé le soir même au chateau de La Tremlays, et, depuis lors, il ne le quitta plus. Georges lui était spécialement confié, et nous devons reconna?tre qu'il affectait en toute occasion, pour l'enfant, une tendresse extraordinaire.
Les choses restèrent ainsi durant dix-huit mois. M. de La Tremlays prenait Hervé en confiance. Il le regardait comme un excellent et loyal parent. Les commensaux du chateau faisaient comme le ma?tre, et Vaunoy avait l'estime de tout le monde.
Il n'y avait que deux personnages auprès desquels Vaunoy n'avait point su trouver grace: le premier et le plus considérable était Loup, le chien favori de Nicolas Treml; le second n'était autre que Jean Blanc, l'albinos.
Chaque fois que Vaunoy entrait au salon, Loup fixait sur lui ses rondes prunelles et grognait dans ses soies jusqu'à ce que M. de La Tremlays lui e?t imposé péremptoirement silence. Vaunoy avait beau le flatter, il perdait sa peine. Loup, en bon Breton qu'il était, avait la tête dure et ne changeait point volontiers de sentiment.
M. de La Tremlays s'étonnait souvent de l'aversion que Loup montrait à son cousin; cela lui donnait même parfois à réfléchir, car il tenait Loup pour un chien perspicace et de bon conseil. Mais Vaunoy, d'autre part, était si humble, si serviable, si dévoué!
Et puis, Saint-Dieu! il détestait si cordialement la France.
Le moyen de concevoir des soup?ons contre un homme qui abhorrait ainsi M. le Régent?
Quant à Jean Blanc, sa haine était moins redoutable que celle de Loup. Jean Blanc, en effet, occupait dans l'échelle sociale une position infiniment plus humble. Il était, de son métier tailleur de cercles, passait pour idiot, et n'e?t point pu soutenir son vieux père sans l'aide charitable de M. de La Tremlays. Jean Blanc était re?u dans les cuisines du chateau, parce que l'hospitalité bretonne accueillait hommes, mendiants et animaux avec une égale religion; mais c'était à
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