remit en route, tout pensif.
--C'est un pauvre insensé, se disait-il.
Mais son coeur se serrait de plus en plus, et lorsque la voix de Jean Blanc, se faisant de nouveau entendre, lui jeta, par-dessus les têtes touffues de grands chênes, les notes lugubres de la complainte d'Arthur de Bretagne, le vieux gentilhomme eut froid à l'ame et pronon?a en frémissant le nom de son petit-fils.
II Le coffret de fer
Quand Nicolas Treml de La Tremlays franchit la grand'porte de son beau chateau, il faisait nuit noire. Il jeta la bride à ses valets sans mot dire, monta le perron d'un air distrait et se rendit tout droit à la chambre de son petit-fils.
Georges dormait. C'était un joli enfant blanc et rose, dont les cheveux blonds bouclaient gracieusement sur les broderies de l'oreiller. Sans doute un doux songe visitait en ce moment son sommeil, car sa bouche s'entr'ouvrait en un charmant sourire, pendant que ses petites mains s'agitaient et semblaient soutenir une lutte de caresses.
Quand les enfants s'ébattent ainsi en de joyeux rêves, les bonnes gens de Rennes disent qu'ils _rient aux anges_; pensée charmante et poétique, à coup s?r.
Mais en Bretagne tout ce qui est poétique et charmant tourne bien vite à la mélancolie: on regarde cette joie du sommeil comme un présage de mort. L'enfant rit aux anges, parce que les anges de Dieu sont là autour de son chevet, pour emporter son ame au ciel.
Nicolas Treml se pencha sur la couche de son petit-fils. Sa lèvre barbue toucha la joue de l'enfant qui ne s'éveilla point.
--Arthur de Bretagne! murmura le vieux gentilhomme qui ne pouvait oublier les paroles de Jean Blanc; si le dernier rejeton de ma race allait être sacrifié!... Mais non cet homme est un fou, et mon cousin de Vaunoy ne ressemble pas plus à l'Anglais Jean sans Terre qu'un chien fidèle ne ressemble à un loup!
Il s'assit auprès du chevet de Georges et rendit son esprit à l'idée fixe qu'il poursuivait.
M. de La Tremlays, puissamment riche et noble, comme nous l'avons dit, avait perdu son fils unique deux ans auparavant. Ce fils, qui avait nom Jacques Treml et qui était père de Georges, avait été de son vivant un homme fort et brave; Nicolas Treml lui avait inculqué de bonne heure sa haine contre la France, son amour pour la Bretagne, deux sentiments qui, chez lui, affectaient tous les caractères de la passion.
La mort de Jacques fut pour le vieux gentilhomme un coup cruel. Ce n'était pas seulement un fils, c'était l'héritier de ses croyances qui descendait dans la tombe.
Il se sentait vieillir. Aurait-il le temps d'inoculer à Georges sa haine et son amour?
Les vieux souverains, à qui Dieu retire le fils qui devait continuer leur oeuvre politique laborieusement commencée, regardent avec désespoir le berceau du fils de leur fils.
Cet enfant mettra vingt ans à se faire homme, et il ne faut qu'un jour pour voir crouler une dynastie.
Nicolas Treml n'était pas roi, mais il se regardait comme le dernier représentant d'une pensée vaincue qui pouvait à son tour remporter la victoire. Jacques était son bras droit, son successeur, un autre lui-même; Georges n'était qu'un enfant.
Au lieu d'une arme à l'épreuve, Nicolas Treml n'avait plus qu'un faible roseau dans la main.
Il y avait de par la province de Bretagne une famille pauvre et de noblesse douteuse qui se prétendait branche de Treml et ajoutait ce nom au sien propre. Avant la mort de Jacques, M. de La Tremlays avait intenté à cette famille de Vaunoy un procès, pour la contraindre à se désister de toute prétention au nom de Treml.
Le procès était pendant, et, suivant toute apparence, le parlement de Rennes allait condamner les Vaunoy lorsque Jacques mourut. Ce fatal événement sembla changer subitement les desseins de M. de La Tremlays. Il arrêta l'action pendante au parlement de Rennes et invita Hervé de Vaunoy, l'a?né de la famille, à se rendre aussit?t près de lui. Celui-ci n'eut garde de refuser l'invitation.
Il traversa la forêt monté sur un piètre cheval de labour. Arrivé sur la lisière qui touchait le domaine de Treml et les futaies de Bou?xis, il ?ta respectueusement son feutre et salua toutes ces richesses, pendant qu'un sourire relevait les coins de ses lèvres sous les crocs fauves de sa moustache.
Hervé de Vaunoy pouvait avoir alors quarante ans. C'était un petit homme replet, à chevelure roussatre, dont les exubérants anneaux encadraient un visage souriant et d'expression débonnaire. Ses yeux disparaissaient presque sous les longs poils de ses sourcils; mais ce qu'on en voyait était fort avenant et cadrait au mieux avec la fra?cheur vermeille de ses joues.
En somme, il avait l'air du meilleur vivant qui f?t au monde, et il était impossible de le voir une seule fois sans se dire: voilà un excellent petit homme!
La seconde fois, on ne disait rien du tout.
La troisième,
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