Vaunoy est un bon chrétien et un loyal gentilhomme.
Comme il pronon?ait mentalement ces paroles, une voix grêle et lointaine lui apporta le refrain d'une chanson du pays, sorte de complainte dont l'air mélancolique accompagnait le récit du trépas d'Arthur de Bretagne, méchamment mis à mort par son oncle Jean sans Terre.
M. de La Tremlays se sentit venir au coeur un pressentiment funeste en écoutant cela.
--Impossible! murmura-t-il pourtant; M. de Vaunoy est un digne parent.
La voix se rapprochait, le chant semblait prendre une nuance d'ironie.
--D'ailleurs, poursuivit le vieux gentilhomme, mon petit Georges est breton; son bonheur, comme son sang appartient à la Bretagne.
La voix se tut durant quelques secondes, puis elle éclata tout à coup juste au-dessus de M. de La Tremlays. Celui-ci leva brusquement la tête et aper?ut, au haut d'un gigantesque chataignier dont la couronne, dominant les arbres d'alentour, était vivement frappée par les rayons du soleil couchant, un être d'apparence extraordinaire et presque diabolique. Son corps, ainsi éclairé, rayonnait une sorte de lueur blafarde. Si un voyageur l'e?t rencontré dans les forêts du Nouveau Monde il ne lui aurait certainement pas accordé le nom d'homme, et l'histoire naturelle de M. de Buffon contiendrait un article de plus: le babouin blanc. Cette créature ressemblait en effet à un énorme singe de couleur blanchatre, elle sautait d'une branche à l'autre avec une agilité merveilleuse, et à chaque saut, un faisceau de menus roseaux tombait à terre.
Son chant continuait.
Il est à croire que ce n'était pas la première fois que M. de La Tremlays rencontrait ce personnage étrange, car il arrêta son cheval sans manifester la moindre surprise et siffla comme on fait pour appeler un chien.
Le chant cessa aussit?t, et la créature perchée au sommet du chataignier, dégringolant de branche en branche, tomba aux pieds du vieux seigneur en poussant un grognement amical et respectueux.
C'était bien un homme, et pourtant il était plus extraordinaire encore de près que de loin. Ses jambes nues, couvertes de poils incolores, supportaient gauchement un torse difforme et de beaucoup trop court. Son cou, osseux et planté en biseau sur sa creuse poitrine, était surmonté d'une face anguleuse, aux os de laquelle se collait une peau blême et semée de duvet. Ses cheveux, ses sourcils, sa barbe naissante, tout était blanc, et c'était merveille de voir reluire son oeil sanglant au milieu de ce laiteux entourage.
Aucun signe certain, dans toute sa personne, ne pouvait servir à préciser son age.
Peut-être était-ce un enfant, peut-être était-ce un vieillard.
L'extrême agilité qu'il venait de déployer éloignait également néanmoins ces deux suppositions.
Il fallait la pleine jeunesse pour concentrer tant de vigoureuse souplesse sous cette enveloppe chétive et misérable.
Il se releva d'un bond et vint se planter au milieu du chemin, devant la tête du cheval.
--Comment va ton père, Jean Blanc? demanda M. de La Tremlays.
--Comment va ton fils, Nicolas Treml? répondit l'albinos en exécutant une cabriole.
Un nuage couvrit le front du vieillard. Cette brusque question correspondait mystérieusement au sujet de sa rêverie.
--Tu deviens insolent, mon gar?on, grommela-t-il. Je suis trop bon envers vous autres vilains, et cela vous donne de l'audace. Fais-moi place, et que je ne t'y prenne plus!
Au lieu d'obéir à cet ordre, prononcé d'un ton sévère, Jean Blanc saisit la bride du cheval et se mit à sourire tranquillement.
--Tu te trompes, monsieur Nicolas, dit-il d'une voix douce et triste. Ce n'est pas avec nous pauvres gens, que tu es trop bon, c'est avec d'autres que tu aimes et qui te détestent.
--Paix! fou que tu es! voulut interrompre M. de La Tremlays.
L'albinos ne lacha point la bride et continua:
--Le père de Jean Blanc va bien. Jean Blanc veillait hier auprès de lui; auprès de lui il veillera demain. Hier tu veillais sur Georges Treml: veilleras-tu sur lui demain, monsieur Nicolas?
--Que veux-tu dire?
--C'est une belle chanson que la chanson d'Arthur de Bretagne... écoute: je sais ramper sous le couvert, tout aussi bien que grimper au fa?te des chataigniers. Je t'ai suivi longtemps dans la forêt, tu causais avec ta conscience; j'ai compris, et j'ai chanté la chanson d'Arthur.
--Quoi! s'écria M. de La Tremlays, tu m'as entendu! tu sais tout!
--Non, pas tout. Tu as dit trop de folies pour que j'aie pu comprendre. Mais, crois-moi, ne laisse pas notre petit monsieur Georges à la merci d'un cousin. Si tu veux t'en aller bien loin, prends ton petit-fils en croupe: si tu ne le peux pas, tue-le, mais ne l'abandonne pas. Et maintenant je vais couper des branches pour faire des cercles de barrique, monsieur Nicolas. Que Dieu te bénisse!
L'albinos lacha la bride et grimpa comme un chat le long du tronc noueux d'un chataignier. La nuit commen?ait à tomber. Le costume de cet être bizarre, formé de peaux d'agneaux et blanc comme sa personne, se distinguait à travers les branches qu'il franchissait avec une indescriptible prestesse.
M. de La Tremlays se
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